Quand William Faulkner répond à une journaliste sur son rapport à l’écriture, cela donne un entretien loufoque et plein d’ironie, mais pas que…
Qu’on se le tienne pour dit, William Faulkner n’aimait pas les interviews. Et quand il se retrouvait face à un journaliste, difficile de savoir qui conduisait la conversation. Jean Stein, qui travaillait pour la revue littéraire américaine Paris Review, s’y est frottée en 1956. Tant bien que mal, comme l’indique le résultat, resté inédit en français jusqu’à sa traduction toute récente.
Toujours chercher à faire mieux… ou mourir
Si les questions sont simples, les réponses sont, elles, parfois absurdes. Il en va ainsi quand Jean Stein interroge William Faulkner sur sa conception du métier d’écrivain. Pour l’auteur d’Absalon, Absalon !, ce sont tous forcément des ratés : « Je pense que si je pouvais récrire toute mon œuvre, je suis persuadé que je ferais bien mieux, ce qui est l’état d’esprit le plus sain pour un artiste, explique le prix Nobel de littérature (1949). C’est pour cela qu’il continue à travailler, à essayer encore ; il croit chaque fois qu’il va y arriver, qu’il va réussir. Bien entendu, ce ne sera pas le cas, c’est pour cela que c’est un état d’esprit sain. »
Et la raison de cet « échec » systématique est simple, selon lui : atteindre la perfection ôterait à l’écrivain, comme à n’importe quel autre artiste, toute raison de vivre. « S’il réussissait, s’il parvenait à faire coïncider l’œuvre et l’image, le rêve, il ne lui resterait rien d’autre à faire que se trancher la gorge, sauter de l’autre côté de ce pinacle de perfection vers le suicide », poursuit Faulkner.
Le bordel plutôt que le lit
Si Marcel Proust et certains autres aimaient beaucoup écrire dans leur lit, lui, qui avait une tendresse toute particulière pour les femmes et l’alcool, se disait plus inspiré par… les bordels. « Pour moi, c’est l’environnement parfait pour un artiste au travail. Cela lui donne une liberté économique parfaite ; il est libéré de la peur et de la faim ; il a un toit au-dessus de sa tête et absolument rien à faire sauf tenir une comptabilité simple et aller une fois par mois payer la police locale. L’endroit est tranquille le matin, le meilleur moment de la journée pour travailler », détaille-t-il.
Avant de poursuivre, non sans humour : « Et puis il y a une vie sociale suffisante en soirée, s’il veut y participer, pour se distraire; cela lui donne une certaine position sociale ; les pensionnaires sont toutes des femmes qui se montrent déférentes avec lui et lui donnent du “Monsieur”. Tous les trafiquants d’alcool de la région l’appellent “Monsieur” aussi. Et il appelle les policiers par leurs prénoms. »
Auteur de romans par défaut ou par amusement ?
Même ton plein d’ironie quand il raconte ses débuts d’écrivain. C’est après avoir avoué être incapable de composer des poèmes et des nouvelles – « les deux formes les plus exigeantes de la littérature » (NDLR : il a tout de même écrit six recueils de poésie et près de 130 nouvelles…) – que William Faulkner aurait décidé de devenir écrivain. Sa rencontre avec un certain M. Sherwood Anderson, alors qu’il vivait de petits boulots à la Nouvelle-Orléans, aurait également joué un certain rôle. « Nous nous promenions dans la ville l’après-midi et parlions aux gens. Le soir, nous nous retrouvions autour d’une bouteille ou deux, il parlait et j’écoutais. Je ne le voyais jamais avant midi. Il s’enfermait et travaillait. J’ai décidé que si c’était là la vie d’un écrivain, alors c’était ce qu’il me fallait, confie Faulkner. J’ai donc commencé à écrire mon premier livre. Et j’ai tout de suite trouvé qu’écrire était très amusant. »
Une histoire qui, selon lui, se termine bien : « Lorsque j’ai fini le livre – c’était Monnaie de singe – j’ai rencontré Mme Anderson dans la rue. Elle m’a demandé comment allait le livre, je lui ai dit que j’avais fini. Elle a dit : “Sherwood dit qu’il va vous proposer un marché. S’il n’a pas à lire votre manuscrit, il dira à son éditeur de le publier.” J’ai dit “d’accord”, et c’est ainsi que je suis devenu écrivain. »
(d’après BibliObs)
ah , c’était vraiment trop simple à cette époque.
« William Faulkner sur sa conception du métier d’écrivain… comme pour n’importe quel autre artiste… » : ce qui compte « c’est un état d’esprit sain. »