Les auteurs de fiction s’inspirant de faits réels sont de plus en plus attaqués pour atteinte à la vie privée. « Et la liberté de création ? » demandent certains.
Au regard du nombre de livres publiés chaque année, cela tient encore de l’épiphénomène. Mais ce qui arrive à Régis Jauffret, Christine Angot, ou encore Patrick Poivre-d’Arvor tend à se répandre petit à petit. Dans un de leurs derniers ouvrages respectifs, ces trois auteurs se sont largement inspirés de la vie réelle pour leur histoire. Tous trois ont aussi été assignés en justice pour l’avoir fait. Le chef d’accusation ? Atteinte à la vie privée.
Christine Angot, la récidiviste
Pour le premier, l’attaque concerne un livre qu’il a consacré au banquier Edouard Stern, assassiné en 2005 par sa maîtresse dans son appartement de Genève (Suisse). A propos de Sévère, la famille du défunt s’offusque du fait que « le livre, vendu à près de 12 000 exemplaires, a pour objet non pas de répondre au légitime besoin d’information du public, mais de divertir des lecteurs et de tirer un profit commercial d’un drame médiatisé ». Elle reproche surtout à l’auteur de « [ne pas avoir] hésité à peindre Edouard Stern de la manière la plus dégradante, la plus monstrueuse et la plus ignominieuse qui soit ».
Christine Angot et PPDA doivent, eux, faire face à des plaintes issues de leur entourage plus ou moins direct. Ainsi, l’auteure de L’inceste (1999) est l’objet d’une procédure judiciaire de la part d’Elise Bidoit, l’ex de son actuel compagnon. Celle-ci s’est reconnue dans le personnage d’Hélène, héroïne des Petits, dernier roman de l’écrivaine (2011). Comme le rappelle le Monde, ce n’est pas une première : elle s’était déjà reconnue dans Le marché aux amants (2008). Christine Angot avait même utilisé dans son livre les prénoms – rares – de deux de ses cinq enfants. Une négociation aurait alors réglé le litige pour 10 000 euros.
Quant à l’ancien présentateur vedette du 20 heures de TF1, c’est son ex-compagne qui lui intente un procès. Elle l’accuse d’avoir utilisé, sans son autorisation, de larges extraits de leur correspondance amoureuse (lettres, fax, SMS, etc.) dans son ouvrage Fragments d’une femme perdue (2009).
Les services juridiques des éditeurs de plus en plus sollicités
L’issue judiciaire de ces trois affaires n’est pas encore connue. Mais elle fait réfléchir dans le monde de l’édition, qui se montre de plus en plus prudent avec les textes qui lui arrivent. Benoît Kerjean, directeur du service juridique du Seuil, admet ainsi que le nombre de manuscrits qui passent par son service avant publication ne cesse d’augmenter depuis quelques années. Une tendance qu’il regrette : « J’ai le sentiment qu’on tente de plus en plus d’encadrer la liberté de création. On est en train de condamner un genre littéraire ancien : la fiction inspirée de faits divers », déplore-t-il.
Plus encore, c’est le paradoxe auquel il est confronté tous les jours qui rend Benoît Serjean perplexe. « Les directions juridiques sont désormais sollicitées pour relire des œuvres qui, de par leur nature, n’ont pas à être appréciées au regard d’un risque quelconque. (…) Et quand il doit se défendre contre une action en diffamation, un auteur de fiction doit apporter la preuve de ce qu’il avance, explique-t-il. Or, la véracité est antinomique avec la notion même de fiction. Je fais mes relectures juridiques avec des règles inadaptées, qui me contraignent à proposer de recadrer parfois le travail d’un auteur en ayant un raisonnement empreint de réalité. C’est un exercice d’équilibriste qui frôle parfois l’absurdité… »
Faire confiance au discernement du lecteur
La tâche est tout aussi difficile pour les juges chargés de trancher dans ces affaires, constate Agnès Tricoire. Afin d’aider à dissiper le brouillard dans lequel ils peuvent être plongés, elle propose quelques principes pour les lectures judiciaires. Dans son ouvrage Petit traité de la liberté de création, elle suggère entre autres de reconnaître que « la liberté de création est plus large que la liberté d’expression », que « l’apologie n’est pas la représentation » et que « pour juger l’intention de commettre un délit dans une œuvre, il faut juger sa réception ». Avec un souhait ultime : que l’on fasse confiance aux capacités de discernement du lecteur. « A nous [lecteurs] de ne pas tomber dans le travers de l’époque qui nous suggère ardemment de tout confondre, l’auteur, l’œuvre, l’interprète et la spectacularisation », écrit-elle.
(d’après Télérama, le Nouvel Observateur, Libération et le Monde)
Bonjour, j’ai une petite question : ne faut-il pas d’autorisations pour situer l’action d’une oeuvre de fiction dans un lieu ou une institution réelle ? Par exemple, peut-on écrire un roman dont l’action se déroule à l’INSERM ? Merci 😉