La méduse au royaume d’Hadès

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Je suis sur le point d’embraser tout mon être. Mon incandescence m’a dépiauté jusqu’à l’os. J’ai le cœur qui sue. La solitude me pèse et l’obscurité m’a rendu aveugle. J’avance d’un pas hésitant, tout droit vers l’inconnu, proche de l’enfer. Des crépitements d’angoisse résonnent en moi, me pénètrent, m’arrachent l’âme. Un hurlement de bête en agonie s’échappe de ma gorge et une terrible odeur de charogne m’enrobe de toute part. J’ai les jambes engourdies, à force de courir. Il devient pénible d’inspirer cet air pollué par la haine, qui m’écorche les poumons. J’aspire mes cendres et cela m’inspire le dégoût. Je me consume, me dévore et bientôt, ne deviens plus qu’une masse de cire brûlante. Je coule langoureusement, telle une lave qui s’infiltre dans la terre rougie par le plaisir. J’avance, m’égare et me retrouve. J’ai perdu la notion du temps qui n’est plus qu’un souvenir, un écho qui retenti dans ma conscience intrépide.

Autour de moi, les gens s’affolent. Ils me fuient, se bousculent, quelque fois trébuchent et ne se relèvent jamais. Mon indifférence au chaos, dont je suis la source, m’a rendu impitoyable. J’ai le cœur tout engourdi par la poussée d’adrénaline qui m’a pris d’assaut. J’ai soif de justice, l’esprit en ébullition. Je prends de la vitesse et rugis vers le ciel, prêts à le lacérer de mes crocs forgés et lui vider de ses nuages. Mais je résiste à cette tentation belliqueuse. Mon feu ne mérite pas de s’éteindre par d’insignifiantes larmes célestes, croulantes sous la désolation des cieux. Je suis une révolution sur le point de bourgeonner. Mon ardeur transcende mon monde mutilé vers un monde épuré, façonné par mon impétuosité. Mes caresses liquéfient la terre. Boueuse et venimeuse, elle s’agite sous le poids de ma valse lente qui calcine toutes particules vivantes. Mon âme, dévorée par les ténèbres, m’a ôtée toute liberté. En échange, j’ai acquis le pouvoir de transmuter la terre. Et cela, quitte à consumer la chair de la vie, par mes flammes sanguinaires.

Ici et là, des hommes pétrifiés m’offrent un spectacle de contorsions faciales. Des yeux alarmés se figent d’horreur. Je suis Méduse, flamme de serpents, portail de l’enfer. Ma décadence voluptueuse me rend irrésistible. Ma présence enivrante conduit mes victimes vers l’ivresse. Lorsque je les frôle, ils ont les yeux qui dansent dans leurs orbites au rythme du battement de leur cœur. Tous ces êtres pervertis, maintenant à ma merci, tombent si aisément, l’un après l’autre, dans le tourbillon vicieux des feux d’artifices congénitaux de mon amour ensorcelé. Mes étincelles frôlent le chef-d’œuvre, à chaque incinération de chaque âme, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucune. Victime de mon animosité, je laisse derrière moi un monde incapable de comprendre que l’on puisse souffrir par la douleur, car lui vit d’elle.

Je ne suis plus de la Terre. Je suis aliénée, étrangère à la vie. Je suis perdue, mais je me retrouve aussi, dans l’égarement. Je suis de celle qui a su voir de la beauté dans l’affliction d’une âme déchirée. Cela, malgré ses imperfections et l’hécatombe dans laquelle je l’ai jetée. J’ai des stigmates cousus dans le squelette de ma vie. Ils dévorent ma lumière et m’aspergent des larmes de ces âmes en agonies. Un futur pitoyable m’attend, là-bas, derrière ses portes glaciales. Mon sort frétille d’impatience, prêt à transformer ma braise en flocons de neiges. C’est un sort mérité et je l’accueille dignement. Car la vengeance a ceci de diabolique. Elle déroute par ses illusions aguicheuses, et conduit l’âme vers la folie.

Elizabeth Commarmond

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