Une dernière révérence

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J’avance, puis de façon discrète, je saisis délicatement ce tissu volatile et léger, que je serre dans ma main, juste pour rehausser et maitriser sa retombée et je fais mon entrée. Il ne faut pas que je tombe, de talons qui semblent avoir été affutés, je sens mes appuis vaciller, je reprends la maitrise de mes gestes, au gré de mon avancée sur cette grande allée. Je souris, j’illumine mon visage, tendant de rester concentrée. L’ambiance feutrée, est parsemée des flashs luminescents, parfois aveuglée par ces étoiles, qui dans leurs éclats subits et successifs, voile ma vision.
Je connais cette allée, depuis toujours, compte même mes pas, pour maintenir toute mon attention à ne pas trébucher, car ce jour, est celui de mon avènement, un jour solennel qui me fera briller comme ses lumières qui scintillent, telles des lucioles dorées. Je suis au bout de cette allée, je fais … Une légère et gracieuse révérence, esquissant mon plus beau sourire, fier et belle, je peux voir mon reflet dans les regards qui m’observent, ébahis par ma beauté… Si légendaire.
Je me souviens de ce miroir, juste après ce défilé… Je me rappelle aussi de mon regard glorieux, mussant une toute autre réalité… Dissimulée, feinte. Aujourd’hui je suis de nouveau face à mon reflet… Dont mes yeux sont tout aussi meurtris, au réveil de ce souvenir ancré.
Je saisis de ma main, non pas ce tissu léger et soyeux, mais ce bâton en bois de châtaignier, sur lequel ce soir je prends appuis pour ne pas trébucher… Je regarde une dernière fois dans le miroir, qui peu à peu, renvoi la beauté de mes traits, qui s’estompent, laissant apparaitre d’une femme affaiblie, à l’allure ébréché… Loin de ce jour glorieux.
Rassemblant toutes les forces, de mon corps frêle et fatigué, je regarde mon lit, prête à faire mon dernier défilé… Mes pas sont si difficiles, mes jambes si lourdes que je traine mes pieds. J’arrive enfin près de ce lit paré de draps de lin blanchit, finement brodé, où je peux enfin me poser.
Allongée, je sens mon souffle s’affaiblir, j’essaye d’écouter chaque son, que l’air pourrait exhaler, tendant à ne pas sombrer, me raccrocher. Ceux de mes enfants, accourant dans ce large couloir, pour venir à mon chevet et mes petits-enfants, jouer bruyamment dans le jardin, insouciants, mettant un peu de vie dans cette bâtisse, n’abritant que l’âme de mes souvenirs, préservant entre ces vieux murs de pierre, l’empreinte du temps et ses murmures.
Mais que dis-je ? Je n’ai pas d’enfants … Je n’entends que le silence.
Que ce serait-il passé si Edouard ne m’avait pas quitté ce jour, avant de faire sonner sa solennité ?
Aurais-je brillé encore toutes ces années ?
Il m’aurait certainement raccompagné et je n’aurai pas pris ce taxi, pas emprunté cette grande avenue, dont chaque nuit, je ne peux que m’éveiller meurtrie et en sueur, de ces phares aveuglants et meurtriers.
Ce fut le jour de mon avènement, un jour de solennité qui décima ma vie, en même temps que ma carrière. Ma beauté ne prit vie que dans mes souvenirs, dont le reflet de ces miroirs que j’ai brisés, ont fini avec le temps pas les voiler.
Je ferme mes paupières, j’attends, j’écoute les octaves sifflées par le vent, d’une mélodie lénifiante, sereine. Puis je me sens soudainement légère, comme une plume balayée par l’air, j’ouvre les yeux et me redresse, apercevant cette nitescence, subitement grandissante… Je commence à comprendre pourquoi cette lumière flamboyante de beauté vient d’apparaitre, encensant de sa clarté, l’espace de ma chambre et par laquelle je me sens attirée. Comme une promesse de sérénité, de douleur et de souffrance lestées, d’un corps meurtri et d’un cœur broyé. Emprisonnée du temps et de ces murs ne relâchant que l’écho du silence, se mêlant parfois, de mes lamentations.
Je regarde une dernière fois mon corps vidé, repus de toutes ces années de solitude forcée et je lui fais… Une dernière révérence, me délivrant enfin, de mes chaînes avant de m’envoler.

E. Cordwell

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