Ray fait son Chow

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Il était content de lui. « Ray Solutions », ça sonnait bien, ça sonnait efficace. Il avait réfléchi longtemps et même si c’était pas son truc, la réflexion, il était fier du résultat. « Ray Solutions » pour une boite de détective privé, ça faisait sérieux. En fait de Ray, il s’appelait Raymond et, en fait de Solutions, il fallait encore attendre vu que l’officine n’était ouverte que depuis un mois. Après 20 ans passés dans le commerce du textile et un licenciement, Raymond Torneur avait décidé de faire dans la filature, manifestant ainsi une certaine persévérance. Mais c’était aussi un rêve de gosse, ou plutôt d’ado, quand il avait commencé à s’intéresser au cinéma américain.
La plaque en bronze lui avait coûté un bras mais ça donnait bien, ça luisait efficace. Son bureau se situait dans un petit immeuble où œuvraient déjà un réflexologue, un coach de vie et, à l’accueil, une secrétaire, Rihanna, qui gérait les rendez-vous de tous ces entrepreneurs. Quand Raymond entra dans le bâtiment, ce matin-là, Rihanna s’agita comme un poisson rouge déraciné de son bocal et lui murmura d’une voix pantelante : « y’a quelqu’un pour vous ! ». Son bras frétillait en désignant la salle d’attente : « une dame ! » Comme s’il s’agissait d’un miracle ! Après un mois sans client, Rihanna pensait sans doute que Ray pouvait remballer ses Solutions. Raymond n’avait jamais douté, c’était pas son truc, le doute. Il se dirigea vers la salle d’attente en suivant les effluves d’un parfum prometteur avec la certitude que sa première cliente sortait tout droit d’un roman de Chandler, blonde et pulpeuse.

Elle était effectivement blonde, grâce aux efforts conjugués d’une flopée de coiffeurs et d’une palanquée de produits chimiques. Elle se prénommait Jeannine, s’approchait des soixante-dix ans, s’habillait comme une femme de quarante et se maquillait comme une gamine de moins de quatorze. « Monsieur Ray, vous êtes mon dernier espoir ! » dit-elle en pénétrant dans le bureau. « Chow a disparu depuis 3 jours ». « Votre mari ? » « Non, mon chow-chow ». Raymond dut faire preuve d’une grande contenance pour chasser le nuage de perplexité qui gagnait son visage. Non seulement Jeannine avait appelé son chow-chow Chow, mais en plus c’était un chien. Dans la petite annonce qu’il avait fait paraître dans le journal local, il avait bien indiqué « personnes disparues » mais n’avait pas mentionné d’animaux ! Pouvait-il se lancer dans une telle enquête ? Les dispositions réglementaires de la profession, qu’il ne maîtrisait qu’imparfaitement, le permettaient-elles ? La déontologie ? Sa notoriété ?

Le décompte rapide du nombre de clients qu’il avait eus depuis un mois apporta une réponse non moins rapide à ces interrogations. Il prit des renseignements. Trois jours plus tôt, dans l’après-midi, Jeannine avait laissé Chow faire sa promenade habituelle dans la cage d’escalier de l’immeuble. Rituellement, il revenait une demi-heure plus tard et signalait son retour en grattant à la porte. Mais, ce jour-là, il n’y eut pas de grattements. Il n’y eut que des recherches infructueuses et des voisins sans réponse.

Raymond raccompagna Jeannine chez elle et se mit au travail. Il inspecta la cage d’escalier. Au dernier étage, une porte mal fermée permettait d’accéder au toit de l’immeuble. Malgré la pluie et le vent, Raymond s’y aventura. En s’approchant du bord, il remarqua, sept étages au-dessous, un espace muré, à ciel ouvert, qui servait à stocker les feuilles, l’automne. En se penchant, il crut apercevoir une tache rouge. En se penchant un peu plus, les semelles en crêpe de ses chaussures perdirent l’adhérence. Un admirateur de Chandler ne devrait jamais porter de crêpe ! Durant la chute, Raymond eut sa dernière satisfaction : il avait retrouvé Chow. En bas, il constata que le chow-chow s’était bien refroidi juste avant de se résoudre à n’être qu’un détective privé de vie. Pour une première enquête, ça commençait bien. Pour une dernière enquête, ça finissait efficace.

Petr Vungel

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