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Nous étions à la fin du mois d’août. Camille s’activait, sans un mot d’explication, entre sacs et malles. Une fine sueur perlait à son front soucieux. Son regard me fuyait.
Saisi d’étonnement, puis assailli de soupçons, je l’observais.
Pourquoi ne m’avait-elle pas parlé de ce voyage ? Elle connaissait pourtant mon peu d’engouement pour les expéditions au long cours.
Il faut reconnaître que j’avais d’excellentes raisons : à chaque fois que nous débarquions sur une terre inconnue, elle s’extasiait devant le paysage idyllique, applaudissait en découvrant les coutumes ancestrales. Pendant ce temps-là, moi, je m’inquiétais des inconnus au charmant sourire qui tentaient de me la voler en lui proposant des jeux interdits. Lorsqu’elle acceptait l’une de leurs invitations, elle prenait des allures d’héroïne de carnaval et m’abandonnait. Sans explications. Sans remords. Je passais le reste du séjour à scruter les jeunes coqs et leur manège. Comme eux, j’essayais de la garder sous ma coupe, mais elle me connaissait par cœur et devinait mes tours. Vexé et humilié, je jetais l’éponge et attendais la fin des vacances.
Ce matin là, donc, affalé sur le vieux fauteuil, je broyais du noir tandis que mes prunelles la suivaient. Les brides dénouées de ses sandales battaient la mesure menaçant de la faire chuter. Sa tresse rousse voletait au-dessus de ses épaules lui donnant un air enfantin qui tranchait avec les traits figés de son visage. Sa robe légère enveloppait sa gracile silhouette.
Camille était toute ma vie.
Depuis le premier jour, je m’étais montré tendre et drôle avec cette capricieuse princesse au teint de porcelaine. Elle m’avait conté tous ses secrets et avait souvent ri de ma gaucherie. Lorsqu’elle m’adressait une remarque acerbe, elle se confondait, ensuite, en excuses maladroites. Nous faisions mine d’oublier ces mauvais moments. Jusqu’à aujourd’hui.
Peut-être m’étais-je nourri trop longtemps de ses mots doux murmurés à l’oreille, de la chaleur de son corps ?
Peut-être son silence me reprochait-il de ne pas l’avoir vue vieillir ? D’être trop jaloux ? De laisser le temps me flétrir ?
Peut-être n’éprouvait-elle plus de sentiments pour moi ?
Quantité d’hypothèses farfelues se bousculaient dans ma tête pendant que la belle Camille empaquetait notre univers et ignorait mes appels.
J’avais si souvent séché ses larmes.
Et maintenant, j’étais là, à pleurer chacun des objets disparaissant au fond des sacs : le casque de vélo qui n’avait manqué aucune de nos escapades, la vaisselle en porcelaine ébréchée dans laquelle nous buvions le thé, nos romans… Je ne comptais plus les souvenirs s’entassant pêle-mêle avant d’être expédiés vers une destination que j’ignorais encore.
Et nos fous rires ? Nos rêves ? Oubliés ?
Alors que les étagères de l’armoire étaient quasiment débarrassées de ses effets personnels, la bibliothèque vidée du tiers des livres et les coffres dépouillés de leurs trésors, elle daigna m’accorder un soupçon d’attention.
Sitôt posés sur moi, ses yeux se noyèrent dans un chagrin devenu trop grand. Sa main effleura la mienne, ses joues pâlirent. Lorsque ses lèvres frémirent, je tendis l’oreille. Elle hésita, et finalement se jeta contre moi en m’embrassant. Je n’osais bouger, je tremblais à l’idée de commettre une imprudence.
— Je t’aime, chuchotai-je. Je veux rester près de toi.
— Dans quelques jours, m’annonça-t-elle, je vais aller au collège. Maman dit que je suis une grande et que je dois me débarrasser de mes jouets. Mais comment vais-je faire sans toi ?
— Un doudou n’est pas un jouet ! N’écoute pas les adultes ! Cache-moi ! M’entends-tu ?
L’adolescente fit un pas vers un carton entrouvert dans lequel patientaient Mia la poupée borgne, Théo le baigneur unijambiste et des cahiers de coloriage. Son bras se déplia, me suspendit au-dessus de nos anciens compagnons de dînette, mais elle se ravisa, m’adressa un clin d’œil complice et me glissa sous l’édredon.
VALÉRIE BRUN