Oser finir un roman

Marianne Jaeglé est écrivain et animatrice d’ateliers d’écriture aux ateliers Elisabeth Bing. Pour aider les apprentis écrivains à dépasser leurs inhibitions, Marianne Jaeglé a écrit le livre : Ecrire, de la page blanche à la publication. Découvrez un reportage vidéo sur Marianne Jaeglé sur : sa page chroniqueur.
Retrouvez sur enviedecrire.com les chroniques de Marianne Jaeglé. Elle accompagne les apprentis écrivains tout au long des étapes incontournables, mais souvent difficiles de l’écriture.

 

L’amour a le dur désir de durer, si l’on en croit Paul Eluard. D’une certaine manière, l’écriture aussi.

Beaucoup de gens me contactent avec un roman en cours, me demandant de les lire, de leur faire un bilan de leur roman alors même qu’il n’est pas terminé, et qu’ils ne sont pas en situation de blocage. Je refuse généralement avec énergie, arguments à l’appui. Voici pourquoi.

Il vient toujours un moment, lors de l’écriture d’un livre, où l’on est pris de terreur à l’idée d’aller jusqu’au bout. Assurément, il vaudrait mieux tout refaire, depuis le début, plutôt que de continuer avec les doutes qui nous habitent.

Assurément, il vaudrait mieux ne pas avoir à se confronter au livre écrit, et continuer de rêver à ce texte merveilleux dont nous avons un si grand désir. A ce livre qui serait à la fois le meilleur jamais écrit sur le sujet et une exacte image de nous-mêmes.

Se confronter à la réalité

Assurément, il serait en un sens préférable de ne jamais avoir à se confronter à la réalité de notre texte, préférable de le laisser encore séjourner dans les limbes de notre imagination, de notre désir, de notre rêverie plutôt que d’être confronté à la dure réalité : le livre dont nous rêvons est vraisemblablement hors d’atteinte, et le texte que nous avons écrit n’en est qu’une pâle copie, un pauvre ersatz.

Néanmoins, faire lire son texte en cours, et se mettre à le retravailler alors qu’il n’est pas encore terminé, c’est à tous les coups s’enliser dans un interminable retravail, qui repoussera toujours plus loin le terme du texte. C’est imiter Pénélope : défaire la nuit ce qu’on a accompli durant le jour. Or ce qui convient à Pénélope n’a guère d’intérêt pour un écrivain débutant. D’abord parce que, pendant le travail en cours, on manque (encore plus que d’ordinaire) de lucidité : “A relire souvent, on commence à juger l’oeuvre d’une façon injuste et défavorable ; le charme et l’intérêt de la nouveauté, de l’inattendu disparaissent, et souvent on biffe ce qui est bon et ne semble mauvais qu’à cause de la lecture réitérée.” ( Tolstoï, Journal intime)

Faire le deuil du livre rêvé

Autre raison de ne pas se mettre à retravailler en cours de route : pour un écrivain débutant, l’idéal est d’arriver au bout de son texte, qu’il soit bon ou mauvais, perfectible ou irrémédiablement raté ; d’être capable de jeter dessus, au bout d’un certain temps, un regard sans concession, d’en voir les réussites et les faiblesses, le cas échéant de le retravailler … Et ensuite de passer au suivant.

Mener un projet long à son terme, c’est passer d’une rive du fleuve à l’autre, se prouver à soi-même qu’on en est capable. C’est se confronter à la réalité d’une œuvre écrite et non pas stagner dans le fantasme de l’écriture. C’est faire le deuil d’un livre rêvé pour se confronter à la réalité d’un texte (imparfait, forcément imparfait). C’est se dire : je ferai mieux la prochaine fois, et entreprendre un autre projet, écrire, encore et encore.

Retrouvez : Marianne Jaeglé sur son blog

Pour en savoir plus sur : Les Ateliers d’écriture Elisabeth Bing

Découvrez le livre sur l’écriture de Marianne Jaeglé en cliquant sur l’image :

 

 

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14 Replies to “Oser finir un roman”

  1. Marco dit :

    Je vais certainement me répéter, mais je conseille l’exercice suivant à ceux qui « bloquent » en se disant que ce qu’ils ont écrit n’est pas assez parfait: prenez un livre écrit par un grand maître reconnu et lisez-le avec un crayon à papier dans la main. A chaque fois qu’un passage vous ennuie, ou que telle phrase pourrait « mieux » couler, ou que vous tombez sur une lourdeur… n’importe quoi que vous n’avez pas aimé, notez-le dans la marge. A la fin de la lecture, vous verrez le nombre incroyable d' »imperfections » qu’il y a dans ces grands textes. Maintenant, imaginez combien d’autres imperfections ont été corrigées grâce à l’éditeur… Maintenant, vous pouvez vous remettre à écrire le cœur plus léger !

  2. bregman dit :

    Très bel article qui explique bien le « mauvais » côté perfectionniste des auteurs. Il faut dire également que terminer un long projet d’écriture comme celui d’un roman s’apparente à une espèce de petite mort, un aboutissement glorieux et épanouissant d’un côté, mais inévitablement assorti d’un sentiment de grand vide plein d’angoisse : « Mon dieu… Que vais-je écrire, maintenant ? Par quoi vais-je commencer, moi qui ai tant de rêves à écrire et qui prend tant de temps pour les concrétiser ?! »

  3. merci de vos suggestions et de vos remarques, Marco et Bregman.
    Je suis d’accord, Bregman : terminer un texte long est souvent suivi d’un moment de découragement intense (ça a un côté baby blues en fait). Mais il s’agit d’une étape indispensable pour être à nouveau capable de démarrer un nouveau projet…

  4. mahi zohra dit :

    J’écris des livres jusqu’au bout, ils sont publiés mais cela ne m’empêche pas de les haïr et de les considérer comme la preuve de ma nullité. Suis-je vraiment trés atteinte ?

  5. Régine dit :

    Merci pour ce conseil très intéressant mais j’aimerai savoir si je suis dans l’erreur ou pas. Connaissez-vous des écrivains qui ont abouti un roman, tout en travaillant en temps complet, en tenant une maison et sa vie privée ? Je vous pose cette question car je pense demander… ( plus tard 🙂 peut-être) une bourse d’écriture. Il m’est impossible d’écrire sur du long actuellement. Alors, je me fais plaisir, j’écris des nouvelles et des histoires pour les enfants qui me permettent d’avoir une œuvre aboutie.

  6. bonjour Zohra, je vous confirme que vous êtes atteinte d’un syndrome assez courant chez les artistes, dont parle Romain Gary, dans la Promesse de l’aube. « Quand on s’appelle Mozart, on doit mourir avec le sentiment d’avoir écrit de la bouillie pour les chats ». C’est l’insatisfaction du texte produit par rapport au texte rêvé qui demeure toujours hors d’atteinte. Son bon côté ? Il vous pousse à vous dépasser pour faire mieux dans le livre suivant.

    Ma prescription ? Lisez deux ou trois livres franchement mauvais (non je ne citerai pas de nom) parlez avec deux personnes que vous appréciez et qui aiment vos livres et vous vous sentirez mieux.
    amicalement MJ

  7. bonjour Régine
    vous vous retrouvez dans le cas de figure dans lequel Francis Ponge a écrit le Parti pris des choses.
    Il a raconté qu’après son travail, il disposait d’environ une demi-heure pour écrire avant de sombrer dans le sommeil : c’est ce qui explique le format de ses textes (moins d’une demi-page en moyenne dans ce recueil).
    Bien sûr, le format court est une solution en attendant, mais gardez courage : les enfants grandissent, les situations financières évoluent, parfois, on décroche des bourses… très bon courage à vous, en attendant !
    MJ

  8. Bonsoir Marianne,

    Un sujet qui me touche particulièrement puisque tous les auteurs proches m’incitent à finir un roman. Je commence tout et ne finis rien. Je me laisse mener par le bout du nez par mes personnages. Ce sont eux (une fois qu’ils sont construits) qui me sollicitent fonction de leur profil et de mon humeur. Tant est si bien que j’avance par petites touches d’un texte à l’autre. Sous formes de nouvelles, et j’avance comme cela avec trois à quatre pistes différentes que j’entretiens au fil du temps… Pensez vous qu’en liant ces Nouvelles/épisodes à la fin (en l’amménageant et le structurant bien évidement) que l’on puisse en faire un roman ?

  9. Bien sûr, Laurent que vous pouvez bâtir ainsi votre roman.
    Je vous suggère de lire à ce propos le très beau roman par nouvelles A propos de courage de Tim O Brien.
    Si vous avez du mal à avancer, à faire en sorte que vos histoires se rejoignent, vous pouvez aussi suivre un atelier d’écriture de roman, afin de bénéficier des retours du groupe et de l’animateur.
    amicalement
    MJ

  10. Bonjour et merci beaucoup Marianne,

    Le temps est mon unique conspirateur, si vous connaissez des ateliers d’écritures sur la tranche horaire 23H00-04H00, je suis preneur, encore que… 🙂 En tout cas merci pour votre retour et de l’aide que vous nous apportez.

  11. En effet, je ne connais pas d’atelier sur ce créneau horaire, Laurent… 😉 Mais en revanche, sachez qu’il existe des ateliers en week-end, des ateliers pendant les vacances scolaires, pendant l’été… Et il en existe aussi par mail, autrement dit pour lequel vous pouvez écrire aux heures qui vous conviennent… Donc à mon avis, vous devriez pouvoir trouver, si vous cherchez vraiment !
    amitiés
    MJ

  12. Pom dit :

    Bonsoir.

    Je ne suis pas vraiment d’accord avec votre article.
    Bien sûr qu’il faut se mettre au boulot et ne pas rester dans le complet fantasme. Bien sûr qu’il ne faut pas non plus sans arrêt recommencer du début, tel Sisyphe et son invariable rocher.
    Bien sûr qu’à un moment il faut se dire « Bon, maintenant, on arrête le pinaillage, et on met le point final, on ne bouge plus une virgule. »

    Seulement, des quelques personnes qui se prétendent « auteurs » dans mon entourage et qui sont dans l’esprit que vous encouragez (éviter au maximum les relectures en cours d’élaboration du récit, limiter les corrections sous prétexte que cela pourrait prendre un temps colossal et que de toute façon d’autres ont fait pire…)… ne font franchement pas de la qualité.
    Mais ils se rengorgent : ils ont fini quelque chose ! Ils sont allés au terme d’un projet important, presque grandiose ! Et on me demande mon avis, terrible chose… Au début, je suis enthousiaste et je me lance dans la lecture. Puis, au bout de deux pages, je commence à tiquer, froncer des sourcils, me mordre les lèvres. Je passe sur une maladresse, deux, trois, quatre, dix, j’essaie de deviner quelle raison a pu amener tel ou tel écart au bon sens, tout en ayant déjà eu l’expérience que 8 fois 10 il s’agissait de bourdes irréfléchies, dépourvues de signification… A la douzième page, généralement, je suis déjà littéralement gavée de ce texte parachevé sans être travaillé.
    Les « auteurs » demandent des critiques. J’essaie d’en esquisser de légères, en cachant pour le moment les plus graves : mais même ces petites choses sont mal prises ; on ne voulait pas de critique constructive, que des éloges. Et on le rappelle sans cesse : on a fini le roman, c’est déjà une sacrée chose, tout le monde ne peut pas en dire autant !… et de toute façon pas de temps à perdre, maintenant que c’est fait, critiques ou pas, on va l’envoyer chez l’éditeur tel quel. Les corrections, les reprises, voyons, ça tue la créativité, on ne va pas s’encombrer de telles lourdeurs, il faut aller à l’essentiel : imprimer le produit fini.

    Mais, personnellement, je ne vois pas quel mérite il peut y avoir à avoir fini un mauvais roman. Et encore moins sans l’avoir très sérieusement retravaillé. Est-ce que « La Recherche » de Proust a une moindre valeur parce que l’auteur est mort avant de l’avoir terminée ? « Emma Bovary » parce que le texte a été soumise à l’épreuve du gueuloir ?

    Non, vraiment, finir un bouquin pour finir un bouquin, qu’importe sa qualité, n’est pour moi qu’une gloire de pacotille. Seule la qualité importe in fine.

  13. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, Pom !! Bien sûr que je suis favorable au retravail, une fois la première version d’un texte achevée. Je ne vois pas qui préfèrerait un texte bâclé à un texte abouti.
    Mais par expérience, je sais que le retravail est bien souvent aussi un alibi, et que la quête de perfection donne peu de résultats. De plus, un texte « achevé » et refusé par un éditeur peut toujours être rangé dans un tiroir, et repris six mois ou un an après, quand l’auteur a repris son souffle. Il me semble donc préférable de mener un travail à son terme, fût-il provisoire, plutôt que de faire et défaire, inlassablement, sans aboutir à rien.
    amicalement

  14. Mélanie dit :

    Bonjour,
    Je me reconnais parfaitement bien dans cet article. J’écris une vingtaine de pages puis je laisse tomber parce que je trouve mon histoire lassante. Du coup, je n’écris plus pendant longtemps.
    Le fait de lire des romans dont l’histoire est super me décourage aussi parce que je me dis que je n’arriverais pas à écrire quelque chose d’ aussi exceptionnel…
    Mais bon, je n’ai que 16 ans. Peut-être dois-je attendre encore un peu ?

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