Ian McEwan est un romancier et scénariste britannique né en 1948. Au début des années 80, il s’impose sur la scène littéraire britannique avec deux recueils de nouvelles dans lesquels il se montre fasciné par la perversion et l’interdit. Il explore tous les fantasmes les plus bizarres de la sexualité, les outrances et les excès auxquels l’amour peut conduire : crimes passionnels, crimes sadiques… Dans le cadre de la publication de son nouveau roman, Opération sweet tooth (Gallimard, 2014), Ian McEwan a été interviewé par le magazine français Lire :
Comment écrivez-vous ?
Je crois fermement aux bienfaits de l’assiduité. Quelle que soit votre humeur, si vous avez trop bu la veille, si vous n’avez pas assez dormi, les deux allant souvent ensemble, vous devez vous asseoir à votre bureau. J’ai hérité cela de mon père, qui était un homme très bien bâti, et qui servit l’armée britannique pendant près de cinquante ans sans jamais se faire porter pâle. Il buvait beaucoup, mais à six heures il était toujours debout. J’ai hérité de cette éthique de travail.
Plus concrètement, je travaille toujours dans un grand carnet A4, toujours vert, ligné mais sans marge. C’est là que je rédige des paragraphes, que je dessine le plan du livre à venir. Mais je dois dire aussi que j’adore les ordinateurs. J’ai été un utilisateur précoce : je crois que j’ai acheté ma première machine en 1983. Il fallait brancher un petit clavier à l’arrière, et il n’avait que 7 ko de mémoire ! Il ressemblait plutôt à une console de jeu, mais dans l’esprit, c’était déjà un traitement de texte.
J’aime la capacité de stockage des ordinateurs. C’est pour moi une parfaite analogie de ce qui est conservé quelque part au fond de votre cerveau. Ce n’est pas imprimé, mais c’est là, parmi les fantômes des puces et des bits? J’aime ce mélange entre l’écriture à la main et le traitement de texte, qui fonctionnent en miroir. J’utilise des stylos bon marché, car je n’arrive jamais à ne pas les perdre.
Si je suis inspiré, je peux travailler jusqu’à ce que je tombe de fatigue, quinze ou seize heures d’affilée. Ça arrive parfois, quand vous en êtes aux deux tiers du livre et que vous avez appris comment l’écrire. Vous savez dans quelle langue il doit être raconté, vous connaissez les personnages, vous savez où vous vous dirigez. De là, ces trente mille derniers mots, ce n’est plus qu’une formidable descente. C’est pour vivre ces moments-là qu’on écrit.
Comment avez-vous trouvé votre propre ton, votre propre style ?
J’ai débuté lentement. Mais j’ai très tôt multiplié les centres d’intérêt. J’ai aimé la science dès mon adolescence, mais je ne lui faisais pas de place dans mes histoires, vu que j’étais un romancier existentialiste qui ne s’abaisserait pas à de telles considérations. C’était l’âme humaine qui m’intéressait, et comme je n’avais que 22 ans, cette âme ne pouvait être que profondément malade !
(…) ça a été un long tunnel pour moi avant que je trouve mon style, ma patte. Le premier roman dans lequel j’ai réussi à mêler les sciences, la littérature, la conscience du temps présent, le tout dans un ton juste, c’est L’Enfant volé, en 1987… ce qui veut dire que j’ai mis près de dix-sept ans pour enfin me situer en tant que romancier !
Etes-vous obsédé par le style ?
Oui, je dois l’avouer. Mais pour qualifier le style que je cherche, je dirais que le langage doit pour moi être invisible. C’est ce qu’il nomme que le lecteur doit voir, et non la surface de la phrase. Cela dit, il y a d’autres moments où je cherche à capter l’attention sur cette même surface et ses aspects linguistiques. Mais dans l’ensemble, je souhaite que mon style soit transparent. Un peu comme une musique de film : elle peut déterminer l’humeur de la scène, mais au moment même où vous vous apercevez de sa présence, votre attention est détachée de ce qui se passe à l’écran… Pour que vous soyez entraîné par l’histoire, il faut que ses mécanismes soient invisibles, qu’ils n’agissent sur vous que de façon viscérale.
Comment construisez-vous vos romans ?
Par le passé, j’étais trop dans le contrôle. J’ai appris à laisser filer les choses. Je pensais que si vous faisiez une seule erreur dans votre premier jet, alors l’ensemble s’effondrerait comme une cathédrale mal pensée, ou s’inclinerait comme la tour de Pise. Il fallait que les fondations soient parfaitement posées. Mais je crois que ma carrière littéraire a conduit à un lent abandon de cette approche. Ce qui, d’un autre côté, m’a forcé à rédiger davantage de brouillons !
Je ne veux pas dire que mes premiers jets, par le passé, étaient parfaits, mais je n’en étais pas loin. A 85 %, disons. Aujourd’hui, je me sens plus confiant quand je me lance dans un nouveau roman, je sais que mon premier jet peut ressembler plus ou moins à ce que j’en attendais, et que je pourrais le retravailler ensuite. Pour ce qui est de la construction de mes livres, ils commencent souvent avec un personnage. Un individu marche vers moi dans le brouillard.
Au début, je n’en discerne que la forme, et plus il approche plus il gagne en détails. Mais c’est un phénomène de boucle, un processus récursif : vos personnages n’approchent de vous que si vous continuez à écrire ! C’est l’invention qui les attire et les rend plus clairs. D’autres romans fonctionnent différemment. Prenons celui que j’écris en ce moment même – je dois dire qu’autrefois, j’étais très superstitieux à l’idée d’évoquer mes romans en cours.
Là aussi j’ai évolué : un de mes amis est juge, et m’a raconté son expérience au cours de laquelle il a dû s’occuper en urgence d’un adolescent témoin de Jéhovah qui refusait une transfusion sanguine ; dès qu’il m’a raconté cette anecdote, j’ai vu le livre que je pouvais en tirer, un roman court, pas plus de quarante mille mots, divisé en quatre parties… J’étais tellement absorbé par ce livre qui naissait sous mes yeux que je n’ai pas entendu cet ami me raconter la fin de son histoire !
Retrouvez l’intégralité de l’entretien d’Ian McEwan avec François Busnel pour le magazine Lire (crédit photo : Eamon McCabe)
Ah ! merci pour cette reprise d’interview (je ne lis pas les hebdos et je ne l’aurais pas eue), j’aime McEwan.
Cela me donne vraiment envie de connaître cet écrivain… Et puis, son nom ressemble tellement à mon nom d’auteur : Carole Ewan !
Y aura-t-il des similitudes dans nos livres aussi ?