Né en 1947 à Paris, Erik Arnoult adopte son nom de plume, Orsenna en écho au Rivage des Syrtes de Julien Gracq lors de la publication de son premier roman Loyola’s blues (Le Seuil, 1974). Après avoir enseigné la finance et l’économie, il entre au service de l’Etat en 1981. Elu à l’Académie française en 1998, il a obtenu le prix Goncourt en 1988 avec L’exposition coloniale (Le Seuil).
Comment écrivez-vous ?
Depuis l’âge de treize ans, chaque jour sans exception, j’écris tôt le matin, deux heures. Rendez-vous obligé. C’est pour moi la continuation de la nuit. J’écris toujours avec un crayon papier 2B ou 3B, mais mon instrument favori est la gomme. J’en use des kilos chaque mois.
Les écrivains travaillent au lever du jour. Pourquoi ?
C’est le matin qu’on est le plus clair, qu’il y a le moins de bruit, qu’on n’est pas dérangé. Et c’est la continuation de la nuit. Ecrire et rêver, c’est pareil. A 11 heures du soir, je suis rentré. Extinction des feux. Réveillé à 5 heures et demie, je me sers un thé, le premier d’une longue série. J’écoute brièvement la radio. Je ne tolère pas qu’on m’adresse la parole. Je n’ai jamais pu rester avec une femme qui était du matin. De 6 heures à 9 heures, j’écris. Par la suite, dans la journée, je multiplie les siestes, comme les marins.
Vous êtes à chaque fois satisfait ?
Non, c’est souvent nul. Mais c’est normal. Ce qui est anormal, c’est quand ça marche. Ni douleurs particulières, ni angoisses. Je procède par couches. Me méfiant de la velléité, je vais jusqu’au bout. Après, j’examine. Quitte à jeter trois cents pages.
Quel est votre plus grand bonheur quand vous écrivez ?
Le bonheur de l’écrivain, c’est le mot juste, l’adéquation miraculeuse entre la pensée encore vague et l’expression qui la fait venir au jour. Il s’agit d’une vraie naissance, avec la part de surprise, d’émerveillement et de découverte qu’implique toute naissance. Ce bonheur-là est intime et fort ; rien à voir avec la fierté, plutôt lointaine, de savoir que votre livre « marche ». C’est pourquoi beaucoup de romanciers rêvent de théâtre. Dans une salle, au moins, les réactions sont directes, concrètes, immédiates.
Le temps consacré aux recherches, aux voyages, aux rencontres et à l’écriture du roman L’entreprise des Indes (Stock, 2010) s’est étalé sur plusieurs années. Quel passage vous procure le plus de joie et quel autre vous a demandé le plus d’énergie ?
L’écriture n’est pour moi en rien une souffrance. Quand je trouve une page mauvaise, je me dis que c’est normal et donc je recommence. Pour moi, le retravail est toujours un moment de bonheur : il y a eu neuf versions de ce livre ! Tout cela pour dire que je n’ai pas de préférence ; à un moment donné, je sais que je ne peux pas faire mieux. Et c’est alors que le livre est fini.
(sources : magazine Lire, site internet d’Erik Orsenna)