Les secrets d’écrivain de Marie Darrieussecq

Née en 1969 au Pays Basque, écrivain et psychanalyste, elle a publié chez P.O.L. une dizaine de romans, dont le premier, Truismes, a connu un succès mondial. Elle a aussi écrit pour le théâtre. En cette rentrée littéraire 2013, elle publie Il faut beaucoup aimer les hommes (P.OL.). Lors d’un entretien en 2010 avec la journaliste Nelly Kaprièlian sur le thème « Écrire, écrire, pourquoi ? », elle parle de la façon dont elle écrit ses romans et travaille avec son éditeur :

Marie Darrieussecq : C’est un processus très matériel. Cela a l’air de se passer dans les hautes sphères, mais c’est matériellement de l’ordre du ratage, au sens de la rature. Pendant plusieurs mois, je rêve éveillée, je rêvasse, je suis assise chez moi, je ne fais rien ; cela n’a rien de noble ou de je ne sais quoi. N’importe quoi me traverse la tête et dans ce n’importe quoi il y a des bribes du livre en cours, beaucoup d’insomnies – heureuses(…). Cela se fait beaucoup comme ça. Je vois des paysages, des scènes, comme on dirait au théâtre.

(…)

Toute cette période de rêverie finit par aboutir à un cahier, à de l’écriture ; il y a le problème de la première phrase, mais on verra ça plus tard. Si tout va bien, j’écris le premier jet en six mois, un an, puis je le reprends à l’ordinateur. Là, c’est un autre travail, et c’est affreux ; il faut couper et recouper : du coup, il y a des trous partout, les transitions sautent. Je me dis « tant pis pour les transitions », alors je colle les morceaux et, bizarrement, parfois ça marche. Une des choses que j’ai apprises en écrivant, c’est que les transitions sont des conventions, la plupart du temps on s’en passe très bien. Il faut écrire ce qu’il y a à écrire, c’est tout. Là où est le désir. Au bout d’un moment, j’obtiens un livre, un texte qui se tient, mais qu’il faut à nouveau travailler pour retrouver le rythme initial, s’assurer qu’il ne s’est pas perdu en route, revoir les phrases poétiquement. Poétiquement, c’est-à-dire au niveau du travail du matériau, les mots. La poésie et le roman ne sont pas séparés, le genre est une invention rhétorique. On écrit et la forme se trouve et c’est toujours un travail poétique. Quand j’écris un roman, c’est d’abord une harmonie, un rythme et des sonorités, et des images – si ce n’est pas de la poésie, je ne sais pas ce que c’est. Et il se trouve que, parfois, il y a une histoire ; ou pas. Bref, je retravaille au niveau des phrases et quand je ne peux plus rien faire pour ce livre, je le donne à mon éditeur, et là commence notre conversation.

Nelly Kaprièlian : Ton éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, peut-il intervenir, te donner des conseils ? Tu l’écoutes ?

Marie Darrieussecq : Il a le droit d’intervenir mais j’ai aussi le droit de ne pas suivre ses conseils – d’ailleurs, ce ne sont pas des conseils mais des remarques. Paul Otchakovsky-Laurens est un éditeur très singulier, peu d’éditeurs font ce métier-là de cette façon. Quand j’ai publié Truismes, le manuscrit avait été accepté par quatre éditeurs – c’était merveilleux, j’avais vingt-sept ans –, et tout le monde voulait me faire changer quelque chose. Paul lui-même, quand je lui ai remis le manuscrit, m’a dit que le titre n’était pas possible (« Truismes !? »), que P.O.L. n’étant pas une maison très connue, il n’y avait aucune chance pour que cela marche et qu’il fallait au moins changer le titre, vu qu’on ne pouvait changer ni le nom de P.O.L. ni le mien, qui lui-même était très compliqué… On a donc réfléchi, fait des listes de titres, et j’ai signé un contrat pour un livre qui s’appelle La Parfumerie. Je l’ai toujours, ça me fait rire. Mais, à part le titre, les modifications que Paul avait à proposer, c’était par exemple : « page 53, vous répétez deux fois le même adjectif, est-ce une 9 étourderie ou est-ce voulu ? » ; je ne savais pas forcément, alors je rentrais chez moi et me posais la question. C’était toujours de cet ordre-là. Des questions très précises, des questions de syntaxe, de grammaire et de littérature. Dans Naissance des fantômes, il voulait par exemple remplacer les très nombreuses parenthèses par des points ; il me disait que les parenthèses compliquaient sans rien ajouter. Il lisait à voix haute et me faisait entendre que points ou parenthèses, c’était pareil ; je lui prenais le manuscrit des mains, lisais à voix haute et lui faisais entendre que ce n’était pas exactement pareil. Ma narratrice se perd dans les parenthèses, elle ne se perdrait pas de la même façon dans des points. On a vraiment discuté de cette question, j’ai tenu bon, et il m’a dit beaucoup plus tard qu’il était d’accord avec moi. Ce n’était pas une lutte de pouvoir, c’était une discussion technique et littéraire.

Au rebours, un éditeur potentiel pour Truismes m’avait dit : « La fin est trop pessimiste, il faut changer la fin ».  On sait où on est quand on entend ça. Donc, ce travail que je fais est accompagné très discrètement, sans pression – je n’ai jamais de délais par exemple –, mais il est tout de même accompagné par mon éditeur. Je sais que j’écris dans cette maison-là, ça me fait une sorte d’horizon où les gens, je le sais, ont la même exigence littéraire que moi. On se sent moins seul. Je n’ai pas à me battre contre un éditeur qui ne comprendrait pas, c’est donc très confortable.

(Source : Écrire, écrire, pourquoi ? Entretien de Marie Darrieussecq avec Nelly Kaprièlian, crédit photo : © Hélène Bamberger/POL)

 

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