Quand il était étudiant, Jean Rolin s’est s’investi dans la tendance maoïste de mai 68. En tant que journaliste, il a surtout effectué des reportages. Depuis son premier roman Phénomène futur, publié en 1983 Jean Rolin a écrit des récits de voyage, de chroniques, de souvenirs, de romans et de nouvelles.
« En général, ça (mes livres) ne commence pas par un personnage. D’ailleurs, il n’y a pas tellement de personnages dans mes livres, enfin, ce n’est pas La Comédie humaine, et il n’y a pratiquement pas non plus de dialogues… Cela ne commence donc pas par un personnage, mais par ce que j’appelle, faute de mieux, une obsession. Se nouent vaguement dans ma tête un ensemble de questions que je me pose, mais très vaguement, des choses qui peuvent être un paysage, des émotions, des souvenirs de musique, un livre lu qui m’a donné envie de m’y remettre… Des choses très vagues, dont je sens cependant qu’elles sont très liées.
C’est peut-être un peu difficile à se représenter. Je donnerai un exemple, parce que cela, je m’en souviens un peu, bien que ce soit l’un de mes premiers livres : Bar des flots noirs. Autant que je me souvienne, j’avais envie de mettre en scène Buenos Aires, une ville que je fréquentais beaucoup à l’époque. J’avais envie aussi, assez naïvement d’ailleurs – car j’ai toujours eu une attirance contrariée pour les langues et là, j’avais découvert l’espagnol, j’avais réussi à l’apprendre un peu sur le tas – de faire résonner l’espagnol dans un livre. Il y avait donc Buenos Aires, il y avait l’espagnol, il y avait quelques figures féminines – j’étais à l’époque, et je le suis toujours d’ailleurs, attiré par des serveuses de bar ; cela fait partie de ma mythologie personnelle. Mais vous voyez que tout cela séparément ne constitue pas le départ d’un livre ! »
« Je suis venu au roman après un engagement politique radical. Cela a été ma manière à moi de sortir de ce qui m’apparaissait comme un emprisonnement de la pensée : la politique. Mais ne pensez pas que je méprise la politique. Il s’agissait alors de sortir de la certitude, du manichéisme qui caractérise toute pensée politique. Cette binarité me semblait effrayante. Je pense tout à coup à une phrase de Flaubert (dans une lettre à Louise Colet peut-être) qui dit que l’une des pires maladies de l’humanité est « la rage de vouloir conclure » et que les grandes œuvres ne concluent jamais. Or, la pensée politique conclut toujours, n’est faite que de problèmes et de prétendues solutions. Je ne me sentais pas l’envie, et je n’en étais peut-être pas capable, de commencer à écrire ce vers quoi ma formation plus ou moins philosophique m’inclinait, c’est-à-dire des traités… Je n’avais pas envie de retomber dans la démonstration ou la proposition d’une pseudo-vérité. »
« Dans mes premières années (d’écrivain), j’avais un goût excessif pour l’exubérance lexicale. Je tenais des listes de mots rares. Je m’en suis d’ailleurs moqué dans un article où je constatais que j’avais parlé de « l’éclat smaragdin » d’un verre de menthe à l’eau. « Smaragdin », c’est l’adjectif formé sur « émeraude »… Bon. C’était vraiment déplacé, qui plus est pléonastique. J’avais ce goût, voilà. Et quant à mes premiers livres… disons que l’humour n’était pas ce qui les caractérisait le mieux.
Au demeurant, il me semble que cette pensée qu’on peut être alourdi par son œuvre, que je mets dans la tête de Manet, est vraie. Baudelaire, dans Le peintre de la vie moderne, dit que le peintre doit être un enfant. Or, quand on a fait soixante tableaux, ou même quand on a écrit dix livres, on n’est plus un enfant. On ne commet plus les mêmes erreurs, certes, mais peut-être que c’était bien, ces erreurs. Peut-être que, maintenant, j’ai perdu la luxuriance des mots et j’écris plus serré. Je n’en sais rien. Je crains de perdre un peu de l’innocence. »
(Source : Ecrire, écrire pourquoi ?, entretien d’Olivier Rolin Entretien avec Nathalie Crom)