Et si on nommait des écrivains aux postes de ministres ? Quel programme, quelles réformes proposeraient-ils ? Le nouveau magazine politique Charles a formé son gouvernement littéraire.
Bégaudeau à l’Éducation, Beigbeder à la culture… Le journaliste Arnaud Viviant, rédacteur en chef du tout nouveau magazine Charles, dont le premier numéro est paru début mars, est à l’origine du dossier « Le gouvernement des écrivains ». « L’attribution des ministères nous a souvent semblé évidente, mais parfois nous avons choisi d’être joueurs, notamment en attribuant le ministère de l’Intérieur à Lola Lafon qui a l’habitude d’écrire des textes libertaires ». Revue hybride, à mi-chemin entre le livre et le magazine, Charles appartient à ce genre qui se démocratise et qui a même un nom : le « mook », de « magazine » et « book ». Mais d’ailleurs, pourquoi Charles ? : « Notre modèle est Georges, le magazine politique américain fondé par John Fitzgerald Kennedy Jr. Nous avons cherché à en faire la transposition française », explique Arnaud Viviant. « Georges était décrit comme le Vanity Fair de la politique, car il adoptait un ton plutôt littéraire. Son slogan était : « Not just politics as usual » c’est-à-dire « traiter autrement l’actualité politique », c’est ça notre modèle. Evidemment, en France Charles sonne mieux, et peut faire référence à De Gaulle, Péguy ou Baudelaire… ».
Arnaud Viviant a constitué un gouvernement, en attribuant des ministères à des écrivains, qui ont chacun proposé un programme. « Tout le monde a répondu présent et avec beaucoup d’enthousiasme », précise le rédacteur en chef de Charles. « Nous n’avons donné aucune consigne aux écrivains. Certains ont adopté une écriture formelle, digne d’un ministre, d’autres s’en sortent grâce à la poésie… Ils étaient libres de s’exprimer comme ils le voulaient. »
Le programme des écrivains
Chacun son style, chacun sa méthode. Flore Vasseur s’est aidée de Facebook en sondant ses amis sur son profil, une manière d’évaluer le BNB (Bonheur National Brut) qu’elle instaure en tant que ministre de l’Économie. D’autres utilisent l’excès pour tenter de pointer du doigt quelque chose. En tant que ministre de l’Éducation, François Bégaudeau, dénonce le système scolaire en annonçant la suppression de l’école obligatoire. Nicolas Kssis-Martov, ministre des Sports, entend autoriser le dopage, « garantie de la qualité du spectacle sportif ». Un brin cynique, Frédéric Beigbeder souhaite tout simplement dissoudre son ministère de la Culture : « Les jeunes pirateront tous les disques, tous les livres, et nous ne pouvons rien faire pour les en empêcher. Laissons l’art se débrouiller avec sa gratuité mondialisée ». D’autres enfin, se prennent au jeu, en illustrant leur programme avec des schémas, des cartes, comme Hélèna Villovitch, ministre de la Fin (du nucléaire) qui expose son programme avec à l’appui, une carte des centrales et des risques sismiques.
S’exprimer à travers les écrivains
Si on retrouve les ministères classiques, d’autres ont été inventés ou remis au goût du jour comme le ministère des Arts et des artistes ou encore celui de la Condition féminine assuré par Bénédicte Martin, journaliste et écrivaine. « Il y a une véritable cohésion dans ce gouvernement, les écrivains sont tous de la même génération, celle des 30-40 ans est trop peu écoutée et pas assez représentée. » poursuit Arnaud Viviant. « C’est pourquoi il était important qu’ils s’expriment au nom de notre « génération maudite » ».
Faire rimer poétique avec politique
Dans ce gouvernement, il n’y a ni président, ni premier ministre et c’est un choix fait par le rédacteur en chef de Charles. « Ces deux fonctions ne sont pas utiles lorsqu’un gouvernement est soudé et responsable. Il est efficace quand il est uni. » D’autant plus s’il est composé d’hommes de lettres : « Cette expérience permet aussi l’alliance du poétique avec le politique qui a disparu aujourd’hui. » En effet, de Victor Hugo à André Malraux, nombreux ont été les écrivains à s’engager en politique.