Une nouvelle chronique d’écriture de Frédérique Martin, auteure de romans et de nouvelles. Pour la rentrée littéraire de 2012, elle a publié un roman chez Belfond : Le vase où meurt cette verveine. Le roman a obtenu le Grand Prix Littéraire de Villepreux et fait partie de la sélection Talents à découvrir de Cultura. À tes souhaits,est une nouvelle pour adolescents, qu’elle a publiée dans un collectif chez Thierry Magnier : Comme chiens et chats : histoires de frères et sœurs. En 2011 est également paru Le fils prodigue aux éditions de l’Atelier in8.
Chaque mois, retrouvez sur enviedecrire.com, une chronique de Frédérique Martin qui nous parle de cet acte créateur qu’est l’écriture.
Il ne serait pas honnête d’achever ce cycle sur l’écriture sans aborder la notion d’échec. Je vous épargnerai les faibles consolations de type : l’échec est relatif, on apprend de ses échecs, il faut savoir se préparer à l’échec… A ce stade, celles et ceux qui m’ont suivie jusque là n’ont plus besoin d’être ménagés ; voyons peu ou prou de quoi il retourne.
5% des auteurs en France vivraient de leur plume. D’un point de vue strictement économique, nous sommes donc à un taux record d’environ 95 % d’échecs. Le meilleur taux sur le marché et le seul qui soit garanti, toutes catégories confondues.
En termes de rémunération, l’auteur est l’ouvrier Michelin de la chaîne du livre. C’est lui qui touche la plus petite rémunération (entre 6 et 12%, selon les maisons et les secteurs, du prix HT du livre). Ne parlons pas de sa rémunération sur la vente numérique du livre !
En ce qui concerne les manuscrits, Gallimard dit en recevoir 6000 par an. Le plus petit des éditeurs en reçoit bien une centaine. Il en publiera un. Ou peut-être deux, les années bissextiles. Il est de toute façon enseveli sous le flot et incapable de l’endiguer. Le tirage moyen d’un roman est de 1000 exemplaires, ce qui suppose, pour contrebalancer les tirages tonitruants qui sont les seuls relayés par les médias, qu’une grande partie de la production se vende en dessous de ce seuil.
On est seul pour écrire
Même avec plusieurs publications à son actif, on n’est jamais certain de l’accueil qui sera fait au manuscrit suivant. Il y a d’autre part, un jeu de chaises musicales dans le milieu éditorial comme dans celui des médias, qui peut remettre en question tout ce qu’on croyait acquis. Sans compter les générations montantes qui cherchent à prendre place, tandis que les plus anciennes refusent de céder la leur.
Le soutien d’une maison, même grande, n’est pas promesse de succès.
Le succès, même intense, ne garantit pas le bonheur.
On est seul pour écrire un livre. Tout le reste échappe à l’auteur. Parfois, une sorte de chaîne, de relais, paraît se mettre en place. Plusieurs personnes à différents niveaux, semblent vouloir faire converger une intention de réussite, c’est-à-dire de lisibilité dans le cas qui nous occupe. Le plus souvent, cela n’aboutira pas.
L’écrivain infantilisé
Que veut un auteur ? Être publié, être lu. En vivre, si possible. Il éprouvera comme un échec permanent, le fait de ne pas y parvenir. Il se frottera à l’amertume, la jalousie et l’envie. Il pourra même être désespéré, suivant l’intensité de son investissement dans cet idéal après lequel il court. Il peut trouver refuge dans la posture du poète maudit ou de l’incompris. Il peut accuser le milieu comme s’il s’agissait d’une mafia, alors que c’est un bolide en roues libres qui a échappé à tout contrôle. Il peut aller jusqu’à se croire victime d’une cabale. Suivant sa personnalité, il donnera plus ou moins bien le change quand il sera secoué par la rivalité, il finira par transformer cette énergie. Ou pas. Celui qui prétendra ne pas prêter le flanc à ce genre de sentiments sera le plus souvent un menteur ou un donneur de leçon. Quelques-uns atteindront la grâce du détachement.
Le système tout entier étalonne l’écrivain, concoure à l’infantiliser dans une compétition permanente assortie d’un bulletin scolaire à visibilité publique : Est-il présent dans les médias, combien d’exemplaires a-t-il vendu, a-t-il reçu un prix important, va-t-il décevoir au prochain livre, son public lui est-il fidèle, le reconnaît-on ? Est-il l’écrivain le plus prometteur de sa génération ? (Fort heureusement et dithyrambe aidant, il y a plusieurs places pour ce poste dont il existe une réplique pour les acteurs, les metteurs en scène, les chanteurs, les réalisateurs…).
Jouir des petites victoires
Chaque fois qu’il répondra à la question « Que faites-vous dans la vie ? », l’auteur devra in petto se préparer à la suivante « Et vous en vivez ? » qui le contraindra à se justifier en expliquant que non, mais qu’il fait aussi ceci et cela et que… Ensuite on lui demandera son nom à l’énoncé duquel on prendra un air surpris, voire navré car il sera inconnu. Si sa maison d’édition n’est pas dans le top ten des plus médiatisées, l’interlocuteur lambda lui dira : « Les éditions X ? Connais pas ». Le reste à l’avenant.
Il n’y a pas de parade à cette confrontation renouvelée entre le mythe de l’écrivain et la réalité de la vie d’auteur. Il reste à retourner écrire, à interroger ce qui se passe en nous dans ces occasions, à le reconnaître pour se donner une chance de le transformer, à le relativiser. Il reste à se réjouir des petites victoires pour se réconforter des grandes défaites, à mettre un pas devant l’autre ; ce qui est encore la seule façon valable d’avancer. Et puis, peut-être arrivera-t-il un jour où il faudra aussi apprendre à renoncer.
À lire sur le sujet : La condition littéraire, la double vie des écrivains, Bernard Lahire, éd. La Découverte (2006)
Bonsoir,
je vous rejoins globalement, et notamment sur le fait qu’il faut abandonner très tôt l’illusion de pouvoir vivre de sa plume.
Toutefois, mais c’est un détail, pour avoir signé mon deuxième roman Un dollar le baril (un thriller) chez deux éditeurs, l’un papier, l’autre 100% numérique, indépendants l’un de l’autre. Je ne peux pas souscrire à votre remarque : « Ne parlons pas de sa rémunération sur la vente numérique du livre ! ».
Je touche en valeur absolue les mêmes droits d’auteur chez l’éditeur papier (le texte y est vendu 20,50 € TTC) que chez l’éditeur numérique (le texte y est vendu 5,99 € TTC)…
Les éditeurs papier qui se développent aujourd’hui vers le numérique n’ont pas forcément la même politique de prix vis-à-vis de leurs lecteurs d’une part, et la même politique de prix vis-à-vis de leurs auteurs que des éditeurs « pure player » 100% numériques…
A méditer donc…
Bonsoir et merci de votre message. Le droit numérique en maison d’édition est environ de 2% supérieur au droit papier, malgré les recommandations de la SGDL, notamment, pour qu’il soit partagé à parts égales entre l’auteur et l’éditeur. De ce fait et vu les prix inférieurs au papier auquel il est vendu, le droit numérique reste de manière générale très désavantageux pour l’auteur. Il est vrai qu’il représente pour l’instant une partie très faible des ventes. Mais vous faites peut-être partie des exceptions qui confirment la règle, ce dont je vous félicite.
Bonjour Frédérique,
ce n’est pas tant l’auteur qui fait exception, que les quelques éditeurs 100% numériques qui s’engagent corps et âme pour offrir au lecteur le choix dans le support des textes, mais aussi et surtout la possibilité de découvrir des œuvres et des auteurs qui n’ont pas accès – ou ne veulent pas avoir accès – aux circuits traditionnels, dont certains ont un talent fou (je précise que je n’ai pas la prétention d’en faire partie, loin de là).
Concernant ma propre expérience, les deux éditions papier et numérique de mon deuxième roman étant sorties en février 2013, je manque de recul et d’éléments de comparaison, même si je vais avoir d’ici la fin du mois des chiffres sur les ventes numériques de mars / avril.
Pour l’instant, mon mètre étalon et seul repère est mon premier roman, L’Affaire des Jumeaux de Bourges, disponible uniquement en papier chez un petit éditeur régional qui travaille sans diffuseur, essentiellement sur deux départements et en vente à distance : la totalité du premier tirage (700 exemplaires) s’est écoulée en 18 mois (entre octobre 2011 et ce début mai). Et j’ai eu plusieurs demandes de lecteurs pour une version numérique qui n’existe pas à ce jour.
Mais je vous tiendrai au courant si vous le souhaitez 🙂
@ Christopher : Vous nous ferez partager votre expérience
@ Catherine : Pour le plaisir ou par nécessité. Cependant,être publié – c’est à dire être lu – reste primordial pour beaucoup. Ecrire se fait,come je le disais précédemment, en partant de soi pour aller vers les autres. Et votre blog en témoigne,puisque vous éprouvez la nécessité de faire lire ce que vous écrivez.
Si on laisse de côté les journalistes, dire que 5 % de ceux qui écrivent vivent de leur plume est évidemment excessif. D’abord, il y a tous ceux qui ne sont pas édités ou édités à compte d’auteur. Sur ceux qui accèdent à la publication à compte d’éditeur, le pourcentage est moindre. Il y a à peine plus d’une centaine d’ « écrivains » pour toute la francophonie qui vivent de leur plume.
@ Paul : Je parle ici des auteurs qui se sont professionnalisés. Parler de tous les gens qui écrivent n’a aucun sens dans le cadre de ce billet et de plus il n’existe aucune statistique à leur sujet.
Je me permets de réagir à votre chronique même si je pense que vous parlez plus particulièrement du papier et non du numérique. Toutefois, même si j’aime le papier et que je publie encore sur ce support, je me tourne de plus en plus vers le numérique. Pourquoi?
1.Parce que la création d’auteur est à apprendre et à faire (particulièrement avec le numérique enrichi et l’interactif qui tous deux ouvrent des perspectives de création tout à fait neuves).
2. Parce que les pourcentages sont plus attractifs dans certains cas.
3. Parce que je ne suis plus tout à fait seule (en effet, créer pour le numérique suggère une relation avec l’éditeur dans ce qu’il peut ou ne peut pas faire en terme technique).
4. Enfin, je ne suis pas seule non plus car mes éditeurs sont derrière moi, me soutiennent, m’encouragent et surtout ne m’infantilisent pas.
Je découvre toutefois que je vis un échec puisque je ne vis pas de mes écrits. J’ignorais que cela pouvait être considéré comme un échec. je crois que c’est un choix. J’ai des sponsors, vous savez de ce gens qui croient en moi et qui m’aident moralement et financièrement, des amis, de la famille, des anonymes qui achètent mes livres. C’est également un point de vue: je préfère laisser une création de l’esprit à mes enfants qu’une superbe maison. Alors, oui, je revendique ce goût de l’échec! Ne rien posséder c’est être libre et il faut être libre pour écrire ce que l’on veut, sans restriction. Mon drame? Si un jour je vis de mes ouvrages, vais-je continuer à écrire? Je n’en suis pas certaine car je me mettrais peut-être à la peinture, à la cuisine, etc… Alors sincèrement, je me complais infiniment dans cet échec, et j’ignore le pourcentage de mes « collègues » qui pensent comme moi.
C’est un point de vue intéressant Muriel et qui se défend tout à fait. La notion d’échec n’est pas la même pour tout le monde et vous avez raison de le souligner.