Né en 1947, Jean Echenoz a publié son premier livre Le Méridien de Greenwich en 1979 aux éditions de Minuit pour lequel a obtenu le prix Fénéon. Jusqu’à maintenant, il reste fidèle à son éditeur. Lauréat du prix Médicis en 1983 pour Cherokee et du prix Goncourt en 1999 pour Je m’en vais.
Il y a quelque chose qui marque votre écriture, simple et limpide : une certaine virtuosité de la modestie. Quand est-ce que vous sentez qu’une phrase est « juste » ?
Une phrase « juste », je ne sais pas très bien. disons que ce serait idéalement la coïncidence d’un rythme, d’une mélodie et d’un suspense qui s’accordent, qui me conviennent et qui font avancer le récit, qui alimentent son moteur.
Et qu’est-ce qui vous fait dire qu’un résultat est satisfaisant ?
Je préfère ne pas me poser la question. Eh bien, je peux me dire : « Tiens, les choses ont un peu avancé » ou « Cela, ça peut être utile », ou bien encore « Ça, ça sautera, il va falloir reprendre »… De toute façon, rien n’est jamais achevé. Même lorsque vous avez fini. C’est une illusion.
Vous avez notamment une grande précision dans la ponctuation. Est-elle instinctive ?
Elle s’impose, en tout cas, c’est une chose essentielle. Je me rends compte que depuis quelques années j’utilise beaucoup plus les tirets et les deux-points. Ce sont des signes qui m’apportent beaucoup pour la logique d’une phrase, beaucoup plus que le point-virgule que j’ai beaucoup aimé puis que j’ai lâchement laissé tomber. A part ça, je hais les points de suspension – et les signes expressifs, en général.
Quand travaillez-vous ?
Le matin, quand je me lève. J’y passe une bonne partie de mes matinées : je ne peux pas faire autrement que de m’asseoir tout de suite, d’abord, et d’aller voir ce que je peux faire – reprendre une note, un passage, avancer un chapitre, etc. Une fois que j’ai vu dans quel sens je peux aller, je range un peu la maison, je me range moi-même si je puis dire, et je m’y remets.
Vous arrive-t-il d’être en proie au doute ? Et face à l’angoisse de la page blanche ?
Le doute, c’est évidemment permanent. La page blanche, je ne connais pas bien : ce n’est pas en ces termes que ça se pose. Mais ce qui peut arriver quand j’ai l’impression d’arriver à la fin de quelque chose, quand ça s’approche d’un état définitif, c’est un sentiment qui se rapproche beaucoup du trac, comme si j’allais entrer en scène.
Etes-vous parfois sujet à quelque accès de découragement ?
Bien sûr. J’ai carrément des moments où je me dis que c’est impossible, que je n’y arriverai jamais, que je vais laisser tomber, etc. Ça a été le cas pour 14, comme pour tous les livres – je crois que les deux plus difficiles ont été Cherokee et Ravel. Et puis je finis toujours par y revenir, alors… Mais dans les moments difficiles, je ne peux même plus appeler des amis pour en parler, ils me répondent : « Ça fait trente ans que tu nous dis ça ! » Je n’ai même plus le droit de me plaindre, c’est terrible.
Préférez-vous écrire en silence ou en écoutant de la musique ?
En silence, quand les choses se précisent. Dans le temps de la préparation, il peut y avoir un peu de musique, plutôt doucement, ou la radio avec des voix que je règle très bas, comme des voix de fond, mais assez fort pour que je puisse de temps en temps percevoir un mot, un bout de phrase, une espèce de présence discrète.
Retrouvez la totalité de l’entretien avec Jean Echenoz réalisé par Philippe Delaroche et Baptiste Liger pour le numéro d’octobre 2012 du magazine Lire : Jean Echenoz « A part ça, je hais les points de suspension »
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