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« Une maison au milieu d’une cour d’école. Elle est complètement ouverte. On dirait une fête. » Ses murs de bois sont bariolés de vert, de bleu, de rose, et des orchidées sortent d’entre les joints. Elle embaume l’odeur des rizières mouillées, et la fumée de brasiers familiaux. Devant l’entrée, il y a une petite terrasse, à l’abri du soleil, où un chien repose en ce moment précis. Il a le poil rouge et l’œil mouillé. Il est assis sur son céans, la truffe en l’air, il hume le vent, il hume la pluie qui vient. Derrière lui se tient une jeune femme, dix huit ans à peine, très belle. Peut être vingt, guère plus en tout cas, elle est assise aux côtés de son époux de trente ans son aîné. Elle est fière d’être l’épouse du doyen du village, pour l’occasion, elle a mis du rouge sur ses lèvres. Elle est la seule femme du village à posséder un tube, son mari le lui a ramené de la ville. Aucune femme n’a de maquillage ici. Elle est assise sur le côté gauche, elle sourit, regarde au loin, inaccessible. Ne pas s’abaisser à capter les regards des hommes. Ses cheveux sont lissés et soyeux.
Soudain, c’est un bruit sourd et confus qui éclate, comme un roulement, des chansons, des rires, des éclats. Les enfants sortent de l’école en criant, et s’étalent dans la cour. Ils regardent tous la jeune femme à présent, ils en restent la bouche ouverte, arrêtés dans leur course. Alors le Doyen lève la main, une main usée par le travail, aux doigts tortueux et aux extrémités enflées, où l’on ne distingue plus les ongles de la chair. Le chien se lève, comme suspendu lui aussi au signal, il gémit d’impatience, faiblement. La jeune femme continue de sourire. La main s’abaisse avec grâce, et lentement. Lorsqu’elle touche le sol, les clameurs reprennent, et les enfants s’élancent tous.
Les plus grands se précipitent dans la maison et les plus petits récoltent les fleurs qui sortent des murs, les déposent avec précaution. Les enfants poussent les murs, tandis que d’autres, dans la cour se chargent de recevoir les pans au-dessus de leur tête, à bout portant. Des murs de bois, légers comme de la paille. Les clameurs s’élèvent encore, de nouveaux rires. L’Ancien et sa femme demeurent impassibles, le chien, lui s’est réfugié dans un coin de la cour et regarde la scène en frétillant.
Maintenant, les murs sont posés parterre, et la maison n’a plus que son plancher, sa terrasse, et son toit posé sur quatre piliers. Les enfants démontent les murs dans un joyeux brouhahas, sous l’œil impassible des deux adultes. Puis ils se précipitent les uns vers les autres, qui portent des planches, d’autres portent des liens, d’autres des fleurs. Certains sont allés chercher de la paille de riz. Soudain, le silence après tant d’agitation. Le Doyen se lève alors lentement, suivi de sa femme, il traverse la terrasse et s’arrête. Les enfants ont construit un pont couvert, il relie la terrasse abritée à l’école. Le couple l’emprunte et disparaît dans la bâtisse. Alors brusquement, dans une clameur aïgue de voix d’enfants, les petits se précipitent vers le pont couvert, et disparaissent eux aussi dans l’école. Le chien rouge lève sa truffe vers le ciel, une goutte vient de tomber, puis deux. Il s’avance lentement vers la terrasse, et s’allonge, le nez sur ses pattes. La mousson peut tomber maintenant, tout est bien.
Dorine
Si je vote aujourd’hui pour ce texte, c’est parce que c’est celui qui évoque le plus l’Asie… Marguerite Duras plane bien là dessus.