il était un canard

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Un gros éclair venait de l’atteindre en plein front. Il resta sonné et aveuglé quelques minutes. Il ne voyait que des petits points blancs, et tout, partout, en blanc. Paul n’entendait plus que le silence qui bourdonnait dans ses oreilles comme s’il n’avait plus d’oreilles. Et puis, cette étrange et enivrante sensation de légèreté, de vertige et d’infini. Oubliés les dettes pressées et le banquier pressant. Disparue l’amertume qui épiçait l’échec de son couple, cicatrisé le déchirement du départ de sa femme qu’il aimait encore tant. Son âme ne lui faisait plus mal. Acceptés les différents qui grugeaient toutes ses réserves d’énergie, envolées les dépendances qui lui pourrissaient la vie à Paul. Il ne sentait plus le poids de son corps. Il était en parfait accord avec lui-même et avec le reste de l’univers.

Pourtant, il y a quelques instants encore, sa vie l’étouffait au point de ne plus savoir par quel bout la prendre. Il n’avait plus aucune solution pour empêcher les bâtons de se prendre dans ses roues. Paul ne savait plus à qui crier à l’aide. Il ne savait plus comment aimer sans détruire, ni comment vivre sans dépendre. Il en avait tellement assez de sa vie, de sa toute petite vie trop étriquée pour lui, qui l’accablait tant. Il cherchait sans cesse, dans tous les recoins de sa tête Paul. Il pensait, pensait tout le temps. Il ne se reposait jamais vraiment. Il songeait souvent à partir mais finissait par renoncer par pitié pour ses proches. Quand il pensait à eux, il pleurait en imaginant leur souffrance, leur incompréhension. Alors Paul s’enchaînait un peu plus, encore un peu plus et il s’éloignait un peu plus, encore un peu plus de ses aspirations les plus secrètes et de ses espoirs les plus tenaces.
Dans ses moments de grand désespoir, Paul allait s’asseoir au bord de son étang. Il regardait les canards vivre tout simplement. « Dieu prend soin de ses créatures, pensait-il. Elles n’ont à s’inquiéter de rien ! ». Paul était fasciné par les canards, par leur grâce, leurs sillons sinueux et silencieux, leur insouciance, leur liberté. Il aimait les canards Paul, il aurait tellement voulu en être un. Il aurait plus que tout désiré passer sa vie à atterrir ici et à décoller pour ailleurs. Pas d’hier, pas de demain. Il voulait être insouciant et éternel adolescent. Il voulait caqueter et nasiller avec les copains. Les canards lui faisaient du bien à Paul. Si quelque chose existe après la mort, il souhaitait renaître en canard ! Un beau colvert, fier et majestueux. Le roi de la bande ! Oui, lui, il y croyait vraiment qu’on revient après la mort. Et il disait « qu’y penser avant que ça arrive, ça facilite la transition, ça élimine l’hésitation et donc l’errance trop longue dans le passage ». Vraiment, les canards faisaient beaucoup de bien à Paul. En fait, tout ce qu’il voulait c’est que ça s’arrête tout ce brouhaha dans sa tête, il voulait s’endormir et ne jamais plus se réveiller dans cette réalité-là. Il savait comment y parvenir et il venait de réussir. Reprenant doucement ses esprits, il constata que c’était fini. Il était enfin seul, libre de toutes ses chaînes, sans espace-temps, comme seule contrainte de vivre au jour le jour, dans l’instant présent. Il décolla lourdement, surpris de battre des ailes presque naturellement. Il volait. Il se sentait tellement bien, ses soucis n’existaient plus. Il ressentait juste une paix immense et enveloppante comme il l’avait si souvent désirée.

Paul avait eu besoin de temps, mais oui, il avait fait le bon choix pour lui. Ce choix de presser sur la détente pour brûler cette conscience dont il ne voulait pas, dont il ne voulait plus. Et que là où il voulait être, il n’aurait désormais plus besoin. Se félicitant, Paul se posa sur son étang, doucement, tout en grâce et cancana joyeusement à sa femme quelques mots qu’elle ne compris pas. Il glissa vers elle et happa un des morceaux de pain sec qu’elle venait de lui lancer. L’existence allait enfin être douce

Adèle Mignone

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