Dans un marché en crise, 32 pages et 3 euros, c’est la formule gagnante pour le livre aujourd’hui. Mais le succès de ce format court et pas cher pose question.
Et si l’avenir de l’édition passait par des petits livres, mis en vente à bas coût ? Depuis sa sortie au mois d’octobre 2010, Indignez-vous !, le livre de Stéphane Hessel, a provoqué une petite révolution dans le monde de l’édition. En quelques mois, la brochure de 32 pages, vendue 3 euros, a en effet été écoulée à plus de deux millions d’exemplaires (chiffres Edistat) en France. Ses traductions – une trentaine au total – cartonne aussi dans divers pays d’Europe : Espagne, Italie ou bien encore Allemagne.
Un format qui s’adapte à tous les genres littéraires
Surtout, ce succès a créé un nouvel intérêt des éditeurs pour les « livres-plaquettes », au point que ceux-ci se sont multipliés ces derniers mois. Stéphane Hessel, lui-même, a d’ailleurs commis un nouvel ouvrage de ce type. Engagez-vous !, publié le 10 mars dernier, prend la forme d’un entretien d’une trentaine de pages sur la défense des droits de l’homme, des sans-papiers, des sans-logis ou encore de l’environnement. Selon les derniers chiffres disponibles, il s’en était vendu près de 50 000 exemplaires.
A côté de ces deux ouvrages de l’ancien résistant, d’autres sorties du même calibre (entre 32 et 48 pages) ont connu un beau succès en librairie récemment. C’est notamment le cas du livre-témoignage Tu n’as rien vu à Fukushima, écrit par Daniel de Roulet après la catastrophe au Japon. Le pamphlet politique d’Arnaud Montebourg, Votez pour la démondialisation !, se classe quant à lui dans les meilleures ventes depuis sa sortie il y a près d’un mois. Dans un registre plus humoristique, les pastiches d’Indignez-vous ! ont aussi connu une belle réussite. Les deux exemples les plus emblématiques sont Enfilez-vous !, signé Rafaël Borgia et Luz, et Epilez-vous !, d’un certain Aristophane Aisselle.
L’arbre qui cache la crise du marché du livre
Mais ces bestsellers ne rassurent pas tous les éditeurs, qui s’interrogent sur la viabilité économique de ce virage éditorial. « Ces petits livres sont-ils de « vrais » livres ? », se demande ainsi Alexandre Laumonier, responsable de Zones sensibles, une jeune maison installée en Belgique. « A 3 euros l’exemplaire, l’économie de l’édition n’a pas d’avenir possible. Cela ressemble à un livre numérique bas de gamme : contenu faible, petit format, petit prix… mais, hélas, grande circulation », déplore-t-il.
Ces derniers mois, ces livres-plaquettes sont aussi devenus l’arbre qui cache la forêt. Alors que le marché du livre ne cesse de se contracter depuis le début de l’année et que le nombre d’invendus retournés aux éditeurs, lui, ne cesse d’augmenter, les performances d’Indignez-vous ! et de ses avatars masquent la crise. Avec eux, les ventes de livres en littérature et documents atteignent 7,2 millions d’exemplaires entre janvier et mai 2011, contre 6 millions en 2010, soit une progression de 22 %. Mais sans eux, les chiffres passent au rouge : -3 % pour l’ensemble du marché, et -35 % pour les documents.
Privilégier les « publications de fond »
Alors, faut-il encourager le développement des livres courts ? Pour Eric Vigne, responsable du secteur « Essais » chez Gallimard, la démarche se vaut « quand elle est adossée à des publications de fond », comme c’est le cas avec les « Folios 2 € ». Il se montre nettement plus sceptique pour le reste. « En publiant sous forme de livres des textes qui ressemblent plus à des articles de journaux, nous prenons le risque d’accréditer aux yeux des lecteurs que tout peut être dit en 100 pages », alerte-t-il.
Le risque est aussi grand de voir ces formats brefs supplanter les « vrais » livres dans les librairies traditionnelles. A moins que les libraires eux-mêmes ne finissent par s’indigner…