Et au milieu, des cotillons

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Les fenêtres claquent au gré du vent. La porte est brisée en son centre et menace de sortir seule de ses gonds. Il fait froid. Des ballons dégonflés errent sur les murs extérieurs. Des confettis décolorés s’amoncellent dans un coin. Pas un bruit. Henry tourne autour de la bâtisse éphémère. Il ramasse ce qui reste, décroche des dessins enfantins, perce le silence pesant en déposant violemment ses talonnettes sur le sol. Il rentre dans le préfabriqué et y découvre une galerie de portraits. Tout sourire sur fond bleu. Des boucles blondes. Des pots de gel largement déversés sur de courts cheveux fraîchement coupés. Des cols repassés. Une jolie robe à pois verts et jaunes. Au fond de la pièce, un pot de crayons de couleur est tombé, laissant les bâtons se déverser un peu partout. 

Henry ne peut empêcher ses larmes de couler le long de ses joues creusées par le chagrin. Il se courbe quelque peu. Le poids de sa souffrance n’a jamais été aussi lourd. Il repense à ce jour de la semaine passée. La musique s’infiltrait dans les oreilles des centaines de personnes présentes. Une odeur de crêpes se faufilait sans cesse dans les narines. Chacun vivait l’instant à sa manière. Les regards des grands se posaient fièrement sur une multitude de bambins bien apprêtés. La kermesse battait son plein. Pour l’occasion, une école miniature avait été construite au centre de la cour pavée. Les enfants et leurs institutrices avaient organisé un spectacle qui retraçait l’année écoulée. Julia, la fille d’Henry, avait endossé le rôle si convoité de la maîtresse. Sa grande taille le lui permettait. 

Marie souriait discrètement, ne lâchant pas sa progéniture du regard. Julia ne participait qu’à la première partie de l’évènement. Lors de l’entracte, elle avait rejoint ses camarades avec, dans le cœur, les applaudissements de ses parents présents. Et dans la tête, ce fol espoir qu’il la laisserait entreprendre deux ou trois parties de chamboule-tout. Sagement, elle avait rejoint son rang. Elle ne pouvait alors imaginer qu’elle vivrait le jeu de démolition de manière plus vivante et réaliste.

Henry n’avait rien vu venir. Il y repensait encore à cet instant précis, face à la photographie prise en milieu d’année dans la classe de sa fille, représentant les élèves en pleine activité manuelle. Julia y apparaît concentrée, ses petites mains s’évertuant à découper une feuille selon la forme d’un cœur. La semaine passée, il voulait être heureux avec sa famille. Il voulait juste vivre le moment présent sans penser au lendemain. Marie n’en avait pas eu la force. Elle le lui avait dit entre deux danses, entre deux chansons trop bruyantes. Elle savait que c’était terminé, qu’il n’y aurait pas d’autre kermesse, pas d’autre chorégraphie, pas d’autre éclat de rire. Elle le lui avait annoncé comme ça, sans le regarder. Qu’il parte, elle ne lui en voudrait pas. Elle comprendrait. Henry n’avait pas eu la force de se mettre en colère. Pas là, devant tout le monde. Pour Julia. Il avait posé ses yeux sur sa femme. D’abord rageusem ent. Puis il s’était adouci. Lorsqu’elle avait enfin tourné la tête, son large bandeau recouvrant son crâne nu lui faisant face, Marie avait compris. Il ne la quitterait pas. 

Alors hier, Marie s’en est allée. Il fallait que ce soit un soulagement pour tout le monde. Le mal a cessé de la ronger. Elle ne se lèvera plus la nuit, n’aura plus besoin de bras pour l’aider à descendre les marches. Elle ne connaîtra pas la déchéance du condamné. Sur sa table de nuit, à côté d’une boîte de médicaments vide, elle a glissé son bandeau et une poignée de cotillons multicolores.

Tiphaine Hadet

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