Les secrets d’écrivain de Hanif Kureishi

 L’écrivain Hanif Kureishi est né à Londres en 1954 d’un père pakistanais et d’une mère anglaise. Il est l’auteur de nombreux scénarii (My beautiful laundrette, Sammy et Rosie s’envoient en l’air réalisés par Stephen Frears), de romans (Intimité, Le Bouddha de banlieue…) et de pièces de théâtre (The Mother…). Interrogé sur son écriture par le magazine français Lire, Hanif Kureishi parle de la routine de travail qu’il a mise en place et de la solitude, inhérente au métier d’écrivain.

 

Quand avez-vous commencé à écrire ?

Hanif Kureishi : J’avais quatorze ou quinze ans. J’étais un adolescent très sérieux. Quand on grandit en banlieue, il faut tâcher d’en sortir très tôt, sinon vous ne vous en échappez jamais. Alors j’ai décidé que l’écriture serait mon ticket de sortie. A l’âge de dix-huit ans, je travaillais déjà à Londres, je me projetais dans l’avenir car j’ai cru en mon désir de devenir artiste. Mais il n’y avait à l’époque aucun autre romancier d’origine asiatique. Tous les écrivains que je connaissais étaient blancs, protestants et provenaient au moins de la classe moyenne. Je ne collais pas franchement avec le paysage.

Est-ce plus facile d’écrire aujourd’hui pour un jeune Asiatique ?
H. K. : Ecrire est toujours difficile. Il doit y avoir une résistance entre vous et votre matériau. Si ce n’est pas le cas, c’est que ce vous écrivez n’en vaut pas la peine.

Comment écrivez-vous ?
H. K. : Chaque jour, je répète la même routine. Je me lève très tôt, je commence à travailler vers 7 heures du matin, parfois un peu avant, et j’écris à mon bureau jusqu’à l’heure du déjeuner. (…) écrire est un vrai métier, et il faut respecter les horaires qu’on se fixe. Ensuite je passe le reste de la journée à faire des interviews, voir mon agent, donner des cours, faire des lectures, répondre aux messages qu’on m’envoie. Et le soir, je regarde le football ! J’ai besoin de musique pour écrire, je déteste le silence. Au réveil, c’est plutôt du classique, Bach par exemple. Après 9 heures, je passe au jazz. Et je n’écoute de la pop que dans l’après-midi. Et peut-être Jimi Hendrix le soir.

Est-ce difficile de supporter la solitude de l’écrivain ?
H. K. : C’est amusant que vous me posiez cette question car la semaine dernière justement, j’ai emmené mon fils chez mon éditeur. J’était fasciné de voir tous ces gens évoquer leur week-end, boire des cafés ensemble, manger des croissants. Je mesurais la chance qu’ils avaient. De mon côté, je suis seul dans mon bureau. Et j’aimerais parfois voir d’autres personnes le matin. Mais c’est la condition de mon métier. Si vous escaladez une montagne, vous aurez froid. Si vous écrivez, vous serez seul. Il faut pouvoir le supporter. J’y arrive mieux aujourd’hui que lorsque j’avais vingt-trois ans, et que je voyais mes copains sortir dans des bars. Cette frustration m’a appris la discipline. Et il faut de la discipline pour écrire.

Est-ce une joie ou une souffrance ?
H. K. : Une joie, définitivement. Il faut parfois se forcer un peu, mais j’aime vraiment écrire, c’est ce que j’aime faire le plus au monde. A la fin de la journée, j’apprécie de penser à ce que j’ai accompli, de constater que j’ai progressé. Je travaille généralement sur une dizaine de projets en même temps. Selon les jours, l’un ou l’autre va plus progresser. L’important, c’est que la globalité avance. C’est ce qui me maintient en forme.

Pas de syndrome de la page blanche ?
H. K. : Non, jamais. Et si cela doit arriver, je me réfugie dans l’écriture automatique. Je noircis du papier avec les premières idées qui me viennent en tête. Dès que la page est pleine, il y a quelque chose à en tirer. Je ne peux pas me permettre de rester sur ma chaise à regarder par la fenêtre.

Est-ce que vous devez vous corriger ?
H. K. : Des milliers de fois ! Mais je crois que cela relève moins de la correction que de la découverte. Vous avez une idée au départ, que vous développez en écrivant, encore et encore, jusqu’à ce que l’idée rebondisse, donne naissance à d’autres idées, qui à leur tour germent et se multiplient. Avec un peu de chance, il se peut qu’à la fin vous ayez une page qui tienne la route. La création a tout à voir avec l’exploration.

(crédit photo : © Sarah Lee)

Retrouvez l’interview intégrale de Hanif Kureishi réalisée par Julien Bisson dans le magazine Lire du mois de mai 2011.

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2 Replies to “Les secrets d’écrivain de Hanif Kureishi”

  1. Milphide dit :

    J’aime beaucoup sa manière de voire l’écriture =D En fait, c’est surtout que je me sens proche de lui, il a commencé l’écriture à mon âge actuel et pour les même raisons, j’ai toujours pensés que j’avais « raté le train » et que je n’arriverai jamais à devenir rigoureuse. Merci Hanif Kureishi ! =)

  2. Gilles dit :

    J’aime beaucoup sa réflexion sur les corrections. Exploration en effet. A la fin, on a quelque chose que l’on ne soupçonnait pas avant de commencer. Sinon à quoi bon écrire !… Sauf pour un récit, et encore… même pour un récit !
    Une dizaine de projets en même temps, ouaouh, ça fait du bien de lire ce genre de pratique, c’est décomplexant 🙂

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