Ecrire sur la maladie

Dans un entretien accordé au quotidien français Le Monde, Pierre Zaoui, philosophe et maître de conférences à l’université Paris VII-Diderot donne son point de vue sur les écrivains qui choisissent la maladie comme thème de leur livre :

Quelle est l’influence de la maladie sur la forme littéraire ?

Pierre Zaoui : Quand les écrivains prennent la maladie comme objet spécifique, c’est souvent tout le modèle narratif qui se trouve radicalement remis en question. Dans Malone meurt, de Samuel Beckett, le narrateur essaie de se raconter des histoires mais elles s’effondrent sur elles-mêmes, il dit « Non, je ne peux pas », c’est trop, ça n’a pas de sens. C’était déjà le cas, d’une certaine manière, avec La Montagne magique, de Thomas Mann. Le drame avec la maladie, c’est qu’il y a peu à raconter, on est coincé entre l’imperceptible et la répétition du banal, et ce n’est au mieux (ou au pire) qu’une métaphore d’autre chose (de la décadence de l’Europe pour Mann). La maladie en tant que telle m’apparaît donc plutôt comme un défi redoutable posé à notre capacité à nous raconter des histoires. Dans une conférence hilarante et tragique, prononcée peu de temps avant sa mort, Roberto Bolaño le résume bien : « Littérature + maladie = maladie. »

De quand date l’apparition de la maladie et de la souffrance en littérature ?

P. Z. : Du point de vue des fables et des traditions orales, c’est sans doute immémorial. Il suffit de penser aux mythes d’origine des maladies, de la vie brève ou de la mort inexorable chez les Indiens Modocs, rapportés par Claude Lévi-Strauss dans L’Homme nu. En revanche, dans notre tradition écrite, judéo-grecque, il faut faire au moins deux distinctions. D’abord entre souffrance et maladie : les récits et les poésies narrant les souffrances de l’existence semblent remonter à la nuit des temps. Chez les Grecs, ce thème remonte au moins à la poésie lyrique et élégiaque (élégie signifie « chant de mort ») d’Archiloque, au VIIe siècle avant Jésus-Christ : le « chantre de la grande douleur de l’Un originaire », comme dit Nietzsche avec emphase. Chez les juifs, au Livre de Job, un chef-d’oeuvre.

Une littérature spécifique de la maladie semble davantage moderne, même s’il faut distinguer maladie individuelle et grandes épidémies relevant des récits de catastrophes naturelles ou divines. La peste à Athènes est narrée avec force détails par Lucrèce. En revanche, rien de tout cela pour les maladies individuelles. Ainsi, l’hydropisie d’Héraclite n’est qu’une anecdote légendaire.

De quelle manière appréhender la maladie ou la souffrance vécue par les écrivains ?

P. Z. : C’est la question fondamentale. Comment faire pour que l’art des malades ne soit pas un art malade et ne rende pas la maladie désirable ? Pour que l’Elegeia ou l’Eiapopeia, de chant de mort devienne chant de vie ? Pour que la maladie et son cortège de souffrances ne soient ni déniés ni justifiés ? Pour s’en servir comme nouveau piment, nouvelle perspective sur la vie, et non comme complaisance ou jouissance décadente ? C’était la grande question de Nietzsche. Et depuis que les guerres se sont éloignées, au moins de l’Occident, c’est notre grande question.

Les grands écrivains sont sans doute ceux qui parviennent à y répondre le mieux. Les derniers écrits de Kafka sont exemplaires : on y trouve des formes d’humour, de jeu, de légèreté, de combats souterrains et d’athlétisme pour corps malades absolument extraordinaires. Car ce n’est jamais la maladie privée des écrivains qui est intéressante, c’est ce qu’ils en font et ce qu’ils en retirent pour autre chose : la littérature – ou la vie.

(propos recueillis par Nils C. Ahl pour le Monde des Livres, 17/02/2011)

Retrouvez l’intégralité de l’entretien sur : le site du Monde

Découvrez la vidéo d’une interview de l’écrivaine Pascale Kramer qui écrit sur la maladie dans son dernier livre Un homme ébranlé (Mercure de France, 2011)

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One Reply to “Ecrire sur la maladie”

  1. véronique dit :

    Bonjour,
    Où sont les concours ayant la maladie pour thème?
    En existe -t il un?
    N’est-ce pas un vœu pieux lorsqu’on sait que cela fait même peur à la sécurité sociale?
    Dans l’attente et en espérant avoir tort…

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