Frédérique Martin : Ecrire pour partager l’inaccessible

Une nouvelle chronique d’écriture de Frédérique Martin, auteur de romans et de nouvelles. À tes souhaits,est une nouvelle pour adolescents, qu’elle a publiée dans un collectif chez Thierry Magnier : Comme chiens et chats : histoires de frères et sœurs. En février 2011 est également paru Le fils prodigue aux éditions de l’Atelier in8. Son prochain roman est prévu chez Belfond en septembre 2012.

Chaque mois, retrouvez sur enviedecrire.com, une chronique de Frédérique Martin qui nous parle de cet acte créateur qu’est l’écriture.

Une des questions que je ne cesse de me poser, c’est : Mais qu’est ce que j’ai donc de si intéressant à raconter que j’ai la prétention d’en faire des livres ? Parce qu’en toute logique, écrire ne présuppose-t-il pas qu’on ait quelque chose à dire ? Je ne vais pas me lancer dans une étude savante sur le sens en littérature ou encore sur le fond par opposition à la forme. Je vais m’en tenir à mon expérience, à ce qui est ma propre recherche, dont je trouve l’écho dans mes lectures.

Pour avoir quelque chose à dire, encore faut-il avoir vécu : être capable de se laisser traverser par la gamme des émotions humaines, ne pas se dérober quand elles se présentent, aiguiser sa lucidité, agir, observer, étudier, voir plus loin que soi, expérimenter sa nudité devant un monde qui nous heurte sans relâche – non parce qu’il nous en voudrait personnellement, mais juste parce que nous sommes là, conscients d’y être et soumis à notre animalité.

Partager l’indicible

J’écris à partir de moi, sur ce qui me touche, m’interroge, me secoue et m’habite, en ne cessant de me mettre en tension pour gagner en liberté intérieure. Je reprends ici une partie du texte que j’avais préparé pour la remise du Prix Prométhée en 2005 :

«  Ecrire pour partager l’insensé, l’insoutenable, l’inaccessible. Ecrire, pour retisser le fil brisé de la fraternité chez les hommes. Je n’ai qu’une obsession : l’Homme. Sa grandeur, sa démesure, son impuissance, sa cruauté, sa bêtise, son avilissement, sa déchéance, sa rédemption, son impossible quête, sa peur constitutive de vivre, son audace, son courage, sa tendresse parfois et son acharnement à aimer, malgré tout. L’Homme et cette dimension de lui qu’il s’obstine à repousser, cet au-delà qui ne cesse pourtant de l’appeler. »

Que dire de plus ? Je cherche cet endroit de l’être humain, qui existe en dehors des races, des cultures, des sexes ou des religions. Je me sers de la fiction pour interroger ce lieu, pour mettre en lumière notre insuffisance chronique à l’habiter, la plupart du temps. Je traque la beauté, le tragique, l’ample à travers le réel que nous avons à vivre, certes, mais à magnifier aussi.  J’essaie d’ordonner les errements du mental pour partager ce qui reste indicible autrement. J’écris, à partir de ce que je vis, non pour en rendre le compte exact, mais dans la tentative – peut-être vaine d’ailleurs – d’effleurer ce que nous vivons.

 Un questionnement intérieur incessant

Lorsque je relis mes textes, des années après les avoir écrits, je suis souvent surprise – voire bouleversée – par différents niveaux de signification, dont certains m’avaient échappé au premier abord. J’y découvre une part de moi qui est à l’œuvre en dehors de ma volonté. Cette constatation m’engage à plus d’authenticité encore. Je vois le chemin parcouru et celui qui est resté en jachère. Je me confronte aux limites d’une voix qui s’affermit et ne cesse de se fragiliser en même temps. J’éprouve qu’il ne me sera possible d’écrire qu’en étant de plus en plus vivante, donc secouée, submergée par un questionnement intérieur incessant. Creuser jusqu’à l’os. Ne pas renâcler.

La littérature qui ne me bouscule pas, ne me donne rien, tourne en rond sur elle-même, s’agite sans raison ou se contemple, cette manipulation du langage ne m’intéresse pas. Mais ce n’est que mon point de vue. Cela correspond à ce que je suis et ne définit pas le reste des auteurs – ou des lecteurs –  par la même occasion. Je ne me sens aucune légitimité à décider de ce qui fait sens ou pas, à légiférer sur la pertinence des publications. Je me contente de poser une question qui pour moi est cruciale : Qu’as-tu à dire qui nécessite d’en faire un livre ?

Découvrez : Le fils prodigue, la nouvelle de Frédérique Martin parue en février 2011 aux éditions de l’Atelier in8.

Retrouvez : Frédérique Martin sur son blog

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6 Replies to “Frédérique Martin : Ecrire pour partager l’inaccessible”

  1. M dit :

    Superbe nouvelle que ce « Fils prodigue ». Si la question que Frédérique pose in fine de son article est fondamentalement, dans son cas, la réponse est claire.: elle n’écrit que de l’essentiel.

  2. Ah mais ou est passée l’émoticône rouge ? Merci M, de ta fidélité et de ton attention aux textes.

  3. Une belle tranche de vie que nous propose « le fils prodigue », ça sent le vécu ?
    A propos des éditions Atelier In8: le groupe japonais Bandaï, client historique de la petite maison d’édition paloise (13 personnes), a connu quelques déboires et a du se désengager de son éditeur. Conséquence, 6 salariés d’In8 vont se retrouver au chômage dès le mois prochain. Le monde du livre souffre, la question se pose à nouveau : « Qu’as-tu à dire qui nécessite d’en faire un livre ? »

  4. fabeli dit :

    Merci Frédérique pour cette chronique si sensible et juste. L’écrivante » que je suis ne peut que s’y reconnaitre.
    Je me pose bien souvent cette même question « qu’ai-je donc à dire »,
    pour finalement m’apercevoir que je ne suis qu’une éponge qui finit par rendre son « jus », c’est à dire ce que je ressens du monde et des hommes qui tentent d’y vivre.

  5. M dit :

    Superbe nouvelle que ce « Fils prodigue ». Si la question que Frédérique pose in fine de son article est fondamentale, dans son cas, la réponse est claire.: elle n’écrit que de l’essentiel.

  6. @ Didier : Je suis consternée d’apprendre cette nouvelle.
    @ Fabeli : Merci de ton attention. Tous les jours, sur le métier, remettre son ouvrage.
    @ M : Comique de répétition ? :0)

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