Trouver son rythme pour écrire (1e partie)

Une nouvelle chronique d’écriture de Frédérique Martin, auteur de romans et de nouvelles. À tes souhaits, est une nouvelle pour adolescents, qu’elle a publiée dans un collectif chez Thierry Magnier : Comme chiens et chats : histoires de frères et sœurs. En février 2011 est également paru Le fils prodigue aux éditions de l’Atelier in8. Son prochain roman est prévu chez Belfond en septembre 2012.

Chaque mois, retrouvez sur enviedecrire.com, une chronique de Frédérique Martin qui nous parle de cet acte créateur qu’est l’écriture.

Et si j’enfonçais allègrement une porte ouverte en disant que nous n’avançons pas tous de la même manière ? Il est donc essentiel de bien se connaître, d’appréhender ses modes de fonctionnements, ses possibilités comme ses limites, pour travailler de manière lucide et potentiellement efficace. Dans cette optique, le rythme est un élément primordial.
Il intervient d’abord dans le texte et varie suivant les auteurs, les situations, les procédés littéraires. Collé à la narration, il est censé s’ajuster suivant qu’on entre dans l’écriture d’un poème, d’une nouvelle, d’un roman, d’une pièce de théâtre, d’un article etc. Au sein d’un même texte, il sera soumis à des variantes selon les scènes abordées. Il va de soi qu’une description, un dialogue amoureux, une confrontation, une chute – ouverte ou fermée – impliquent des changements de rythme au même titre qu’une marche, un sprint ou une course de fond. Ce tempo sous-tend la tonalité du livre et peut se comparer au courant d’une rivière ou d’un fleuve, insaisissable, irréductible et pourtant incontournable.
L’allure générale est à la frénésie
Le rythme procède d’une alchimie subtile, qui fait appel au corps plus qu’à la pensée. Dans l’écriture comme dans la danse, il y a des gens qui ont un sens inné de la mesure et d’autres qui se balancent toujours à  contre temps. Cela peut aussi avoir son charme, mais la plupart du temps, c’est inefficace, voire contre productif.
En écrivant, j’ai senti que tout partait de mon rythme interne. Alors qu’on me trouve vive, enjouée, rapide et capable de traiter plusieurs choses différentes de front – ce que je peux faire – l’écriture m’a révélée que je suis un être lent. Biologiquement lente. Il m’a fallu du temps pour l’admettre, prise de conscience d’autant plus différée que la confrontation est constante entre la vie rêvée et la vie réelle. Comme tout un chacun, je suis soumise aux contraintes du quotidien. Mes journées sont dressées aux codes et aux règles de productivité d’une société exclusivement centrée sur elle-même, dans laquelle le singuli ne compte pas. On veut bien nous bassiner avec l’horloge interne, mais on doit continuer à se lever quand c’est l’Heure ! On avance au tic tac retentissant de pendules en désaccord profond avec le jour et la nuit naturels. Découpées en tranches fines, nos journées répondent à un seul mot d’ordre : Sois efficace ! L’allure générale est à la frénésie – ce qui en épuise plus d’un. Dans cette agitation permanente, devant la difficulté grandissante à suivre les élucubrations sociales d’un monde digne de Penrose, le temps devient le seul vrai luxe.
Vivre à son rythme
Dès que j’ai eu gagné trois fifrelins avec mes textes, j’ai loué un gîte, pas très loin de chez moi et je suis partie m’y enfermer huit jours. Provisions de bouche faites, les six volumes de mon petit Robert sous le bras, l’ordinateur et l’imprimante sous l’autre, quelques livres, mes cahiers, feuilles et stylos… j’étais partie pour un déménagement temporaire. Je me suis installée dans ce lieu inconnu, l’ai apprivoisé avec mes affaires et durant ces huit jours, j’ai vécu à mon rythme.
Ecrire, lire, regarder, écouter, concevoir, se lever, se coucher, manger, marcher, quand et comme on le veut, suivre les méandres de sa pensée dans une solitude absolue font désormais partie de mes expériences favorites. Je n’écris jamais autant que durant ces petites semaines volées à l’ordinaire. Ce ne sont pas des vacances. Je travaille beaucoup, mais sans être fatiguée, savourant l’heure quand elle s’étire et déborde du cadre habituellement imparti. Ces journées enrichies par une créativité alerte et vivante, me comblent et m’apaisent.
Lisez la suite de cette chronique : Trouver son rythme pour écrire (2e partie)

Découvrez : Le fils prodigue, la nouvelle de Frédérique Martin parue en février 2011 aux éditions de l’Atelier in8.

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10 Replies to “Trouver son rythme pour écrire (1e partie)”

  1. Toujours en activité professionnelle, j’ai négocié un temps partiel en 2007. Depuis 4 ans donc, la journée du lundi est MA journée. Jour de marché hebdomadaire, je fais le plein de rencontres et d’anecdotes. L’après-midi est consacré à la marche dans les coteaux et le vignoble. Le tout est consigné dans mon petit carnet de notes, à toute vitesse. Le reste de la semaine, je prends le temps de délayer ce concentré et à raison d’une à deux heures par jour … j’écris à mon rythme.
    Merci Frédérique, de nous faire part de votre organisation, vos « petites semaines volées à l’ordinaire » font surement plus d’un envieux.

  2. Je vois Didier que vous ne m’avez pas attendue pour vous organiser et trouver le moyen de créer un espace à votre rythme et qui vous ressemble. Deux heures par jour, si elles sont au bon moment pour vous, c’est déjà beaucoup. Et ce lundi, c’est l’expérimentation de la longueur, du temps qui se déroule devant soi. Merci pour votre lecture.

  3. Anne Hurtelle dit :

    Frédérique,
    Vous m’avez confortée dans cette idée d' »isolement » salutaire pour écrire, merci!
    Enseignante, je suis atteinte d’une pathologie lourde qui m’oblige à aménager mon poste et depuis le 06 septembre 2010, je suis en arrêt-maladie. Ce qui me fait tenir debout, entre autres, c’est ce temps que je tente de consacrer à l’écriture. Pour autant, difficile de concilier vie privée, familiale, sociale…et arrêt sur la page, comme vous le soulignez si bien! Alors, je flâne dans mes pensées, en couche quelques-unes dès que possible et y reviens par la suite pour mieux les organiser.
    C’est ainsi que je vis ou plutôt que j’existe, mes personnages me collant en permanence à la peau! Mais comme j’aimerais moi aussi pouvoir m’offrir quelques jours solitaires, ailleurs, comme vous le faites…
    Il faut que je fasse plus qu’y songer, tout faire pour m’organiser et cela, c’est votre témoignage qui m’en donne la force, alors, au risque de me répéter: MERCI encore!!

    Bien à vous,
    Anne H

  4. Anne, vous avez raison. Il ne suffit plus d’avoir l’intention, il faut prendre ce rendez-vous dans votre agenda, comme s’il s’agissait d’une formation ou d’une rencontre professionnelle. Je bloque mes dates dès janvier et je m’organise autour. Je cherche le gîte à l’avance (ou alors parfois on me prête un lieu) et je le retiens. De cette manière, pas moyen d’y échapper. Aussi et par avance, je vous souhaite un bon séjour.

  5. Lordius dit :

    Quand j’écris un roman, je me fixe un quota : 1000 mots par jour, six jours sur sept.

  6. Lina Carmen dit :

    Bonsoir !
    Votre expérience est enrichissante. Justement, depuis que j’ai entamé l’écriture d’un roman, j’essaie de m’organiser pour me consacrer du temps. Mais ce n’est pas facile ! Je tâtonne encore. Avoir des moments de solitude me serait salutaire, mais les journées sont si courtes ! J’espère réussir à établir un programme qui me permettra de m’acquitter de mes responsabilités tout en prenant du temps pour moi.
    Merci pour ces conseils !
    Lina

  7. Lordius, les règles sont aussi faites pour s’en affranchir. Mille mots bien agencés par jour, la barre est haute. Parfois une seule bonne phrase suffit. Mais vous êtes volontaire, et c’est une qualité nécessaire.

  8. Lina, c’est normal de mettre du temps à trouver son espace, son rythme, sa cadence. Et puis l’entourage est plus coopératif quand on a fait ses preuves. Avant, il faut se battre et persévérer. Si vous pouvez vous isoler ne serait-ce qu’une demie journée par semaine (une journée entière c’est mieux), vous vous « calerez » en fonction de cet espace. Bonne écriture.

  9. Anne Hurtelle dit :

    Pour « rebondir » encore sur le sujet, en attendant de pouvoir m’octroyer ce séjour scriptural en solitaire, je ne programme rien au jour le jour, je n’y parviens pas, je couche des mots sur une feuille volante quand ils me pressent de le faire, j’ouvre le fichier relatif au recueil de nouvelles que je suis en train de terminer, je reprends un texte, « vite fait », le regarde du coin de l’oeil, s’il me sourit, je le prends comme une invitation et je rectifie, j’ajoute, je poursuis, j’achève…s’il me boude, je le laisse choir en lui promettant de revenir le voir, qu’il le veuille ou non! ;))

    J’en profite pour glisser ma déception d’être si loin de la ville rose…j’aurais tant aimé venir assister à vos lectures, chantantes ou non…j’en ai l’ivresse, mais le flacon ne s’est pas rempli!;))

    Au plaisir de vous lire encore et encore et j’espère vraiment, de vous rencontrer ici ou là…bientôt ou pas…

    Anne

  10. Merci Anne. Le monde est un village, nous finirons bien par nous y croiser.

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